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perte de Tsing, sinon au peu de cas qu’on fit des bons avis de Kien chou ? Enfin, pour remonter encore plus haut, Kié fit mourir Koang hoang pong, qui lui faisait des remontrances. Bientôt Kié périt lui-même, et Tang prit sa place. Ouang tse si pour la même raison, eut le même sort sous Tcheou : mais aussi Tcheou peu après perdit l’empire et la vie, et eut pour successeur Vou vang. Sous un des descendants de Vou vang, Tou pé ministre zélé ne fut payé de son zèle, que par une cruelle mort : aussi cette illustre dynastie commença dès lors à tomber. Voilà donc trois empereurs, et six autres princes, qui pour n’avoir pas fait cas de la vertu, ni profité des remontrances, ont tout perdu et se sont perdus eux-mêmes.

En finissant ces paroles, Tchu yu ki sortit promptement pour éviter la colère du prince : mais Tchuang vang fit courir après lui : et quand il le vit revenir : approchez sans crainte, lui dit-il, vos avis ont fait impression sur mon esprit. Tous ceux qui se sont mêlés jusqu’ici de me faire des remontrances, sans me rien dire de touchant, n’ont travaillé qu’à m’irriter ; aussi leur en a-t-il coûté la vie. Vous tout au contraire, vous ne m’avez rien dit de choquant, et vous m’avez rapporté des exemples également sensibles et frappants : aussi je me rends. L’ordre fut aussitôt donné de laisser la terrasse où elle en était. De plus, Tchuang vang fit publier partout, qu’il regarderait désormais comme ses frères, ceux qui lui donneraient d’utiles avis. Cette conversion opérée par un laboureur fut fort célèbre ; le peuple de Tsou la mit en chansons.


Ce qui fait que communément les princes n’aiment point les remontrances, c’est ou l’amour de leur réputation, ou quelque attachement trop grand, qu’ils ne veulent pas quitter : ou ces deux causes jointes ensemble. Il n’est point de prince assez méchant, pour renoncer entièrement au soin de sa réputation, Ceux qui s’abandonnent aux plus grands désordres, seraient bien aises qu’on l’ignorât. Les remontrances leur font connaître qu’ils passent pour ce qu’ils sont : c’est pourquoi ils les haïssent. C’est ce qui se vit anciennement dans Kié et Tcheou, et ce qui s’est vu depuis dans d’autres. Quelquefois un prince a un attachement qu’il ne se sent pas disposé à rompre ; quoiqu’il n’ignore pas qu’on le connaît, et ce qu’on en pense, il ne veut pas qu’on le lui dise ; cette vérité l’importune. Tel fut Hien kong prince de Tsin, qui ne pouvait vivre sans Li ki sa seconde femme. Tel fut aussi Hoen kong prince de Tsi, qui ne trouvait nul mets à son goût, s’il ne lui venait d’Y yn. Quant aux faiseurs de remontrances, il y en a aussi de deux sortes. Les uns se proposent tellement de corriger le prince, qu’ils prennent garde en même temps à ne point troubler l’État, et à ne point se perdre eux-mêmes. Dans cette vue ils ont soin de prendre leurs temps et leurs mesures, d’user d’expressions et d’employer des tours, qui n’aient rien de trop fort. Ainsi en use Kao chou, pour réconcilier Tchuang kong[1]

  1. Tchuang kong, pour quelque grand mécontentement, exila sa mère. Ce prince qui aimait et estimait Kao chou, le fit un jour manger à sa table, et lui présenta par honneur et par amitié quelque bon morceau. Prince, dit Kao chou en le remerciant, j'ai ma bonne mère à la maison, souffrez que je réserve cela pour elle. Jamais elle n'a rien mangé de