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à peser mûrement les conjonctures plus ou moins pressantes, et à profiter de tout, pour se mettre à couvert, s’il est possible, sans manquer à ce qu’on doit au souverain et à l’État.

Le même Lieou hiang rapporte l’histoire suivante. Lin kong régnant dans l’État de Ouei, employait fort Mi tse toan, homme sans mérite et sans vertu : au lieu qu’il ne donnait aucune part dans le gouvernement au sage et vertueux Kiu pé you. Su tsiou qui était en place, fit pendant sa vie tous ses efforts auprès du prince, pour faire éloigner le premier, et avancer l’autre ; mais ce fut inutilement. Se voyant prêt de mourir, il appelle son fils, et lui dit : Je vous ordonne, quand je serai mort, de ne point faire les cérémonies du deuil dans le lieu ordinaire. Je ne mérite pas cet honneur. Je n’ai pas eu l’habileté de rendre à mon prince l’important service de faire éloigner Mi tse toan, et d’avancer Kiu pé you. Prenez la salle du nord pour le lieu des cérémonies : c’est encore bien assez pour moi. Su tsiou étant mort, le prince vint au tiao[1]. Trouvant qu’on avait choisi une salle au nord pour le lieu de la cérémonie, il en demanda la raison. Le fils de Su tsiou rapporta mot à mot au prince ce que son père lui avait dit, en lui déclarant ses dernières volontés. Ling kong frappant la terre du pied, changeant de visage, et comme se réveillant d’un profond sommeil, dit alors en soupirant : Mon[2] maître a fait inutilement ce qu’il a pu pendant sa vie, pour me donner un bon ministre, et m’engager à en éloigner un méchant. Il ne s’est point rebuté ; et il a trouvé moyen de me réitérer après sa mort les remontrances qu’il m’a faites sur cela inutilement pendant sa vie. Voilà ce qui s’appelle un zèle constant. Aussitôt Ling kong fait changer la salle du deuil suivant les rits, renvoie Mi tse toan et prend Kiu pé you : tout le royaume applaudit à ce changement, et s’en trouva bien. Su tsiou avait pour seigneurie Tse yu, et c’est sur lui que tombe cette exclamation de Confucius dans le livre Yu[3] : O que Tse yu était un homme d’une admirable droiture.


Kin kong roi de Tsi avait un beau cheval, qu’il aimait. Ce cheval mourut par la faute du palefrenier. Le prince en grosse colère, prit une lance, et allait le percer. Mais Yen tse qui était présent, détourna le coup ; et prenant promptement la parole, Prince, dit-il, peu s’en est fallu que cet homme ne soit mort sans être bien instruit de la grièveté de sa faute. Instruisez-le, j’y consens, dit Kin kong. Alors Yen tse prenant la lance, et s’adressant au coupable : malheureux, lui dit-il, voici tes crimes, écoute-les bien. Premièrement, tu es cause de la mort de ce cheval, toi que le prince avait chargé de le bien soigner : dès là tu mérites de mourir. En second lieu, tu es cause que mon prince, pour avoir perdu son cheval, s’est irrité jusqu’à te vouloir tuer de sa main. Voilà un second crime capital, plus grief que le premier. Enfin tous les princes, et tous les États voisins vont savoir que mon prince a fait mourir un homme, pour venger la mort d’un cheval. Le voilà perdu de réputation : et c’est ta faute, malheureux,

  1. Nom de la cérémonie pour les défunts.
  2. Il parle ainsi de Su tsiou par honneur.
  3. Nom du livre