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remarqua surtout quatre, que les autres respectaient, leur demanda un jour par occasion, qui ils étaient ? Chacun des quatre ayant dit son nom, Comment c’est vous, dit l’empereur, j’ai souvent ouï parler de votre mérite : j’ai voulu plusieurs fois vous mettre en charge ; vous vous êtes opiniâtré à la retraite : aujourd’hui, sans qu’on vous recherche, vous voici à la suite de mon fils : d’où peut venir ce changement ? Nous vous le dirons, prince, avec franchise : car pourquoi le dissimuler ? Nous nous sommes tenus dans la retraite, pour ne pas nous exposer au mépris qu’on faisait des gens de lettres ; mais ayant su que votre héritier est un prince d’une piété vraiment filiale d’une bonté universelle, d’une bienveillance particulière pour les gens de lettres ; un prince enfin, pour lequel il n’y a point d’homme de mérite, et de vertu, qui ne présentât volontiers sa tête à couper, nous avons quitté nos campagnes, pour venir passer auprès de lui le temps qui nous reste à vivre. Cela est bien, dit l’empereur donnez-vous la peine de continuer à bien instruire mon héritier. Ces quatre vieillards, après les cérémonies ordinaires, se levèrent et se retirèrent. L’empereur les conduisant des yeux, fit venir Tsi sa concubine, et lui montrant du doigt ces vieillards, vous savez ce que je voulais faire, lui dit-il, en faveur de votre fils ; c’était tout de bon. Mais le prince héritier ayant pour lui ces sages vieillards, il ne faut pas y penser. Ainsi réussit le conseil que Tchang tse fang avait donné à l’impératrice, en faveur du prince héritier.


Hoai fils de l’empereur Hoei ti, et désigné son successeur, perdit sa mère de bonne heure. Quand il fut en âge de pouvoir entrer dans les affaires, Kia mié fit à l’impératrice régnante, un rapport fâcheux de ce jeune prince. L’impératrice, qui n’aimait point le prince héritier, crut facilement le mal qu’on disait de lui ; mais comme il n’y avait pas de quoi le faire dégrader, elle fit semblant de soupçonner que ce fut un faux rapport. Elle retint longtemps Kia mié pour le questionner, et partie par artifice, partie par force, elle l’enivra, et lui fit mettre par écrit d’un tour malin qu’elle suggéra, le rapport qu’il lui avait fait : puis elle porta cet écrit à l’empereur. L’artifice dans le fond était assez grossier, et facile à découvrir : car quel est l’homme assez étourdi, pour donner librement, en une occasion pareille, un écrit signé de sa propre main ? D’ailleurs, en supposant que Kia mié n’eût pas été forcé à donner cet écrit, on devait encore examiner, si ce qu’il contenait était fondé sur quelque démarche réelle du prince héritier, ou seulement sur quelque rapport.

L’empereur, prince sans lumières, ne fit point ces réflexions : la plupart des gens qui étaient alors en place, ne furent pas plus clairvoyants à cet égard. Fei kou fut le seul qui pénétra le fond de l’affaire : et ce Fei kou par crainte ou par intérêt, négligea de la mettre dans tout son jour. Hoei ti n’ouvrit point les yeux : le prince héritier fut dégradé, et mourut sans avoir pu se justifier. Est-il rien de plus déplorable ? Ceci fait voir que quoiqu’en matière d’affaires, il n’y a guère de meilleures preuves que les écrits et les signatures ; ces preuves après tout ne sont pas entièrement infaillibles. L’histoire nous en fournit d’autres exemples.