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en coûta cher à ces deux princes. Le meilleur parti est donc, à mon sens, que le prince qui veut réussir, laisse toute liberté à son général, et se réserve uniquement à juger de ses services ; que tous les officiers des troupes sachent bien qu’ils ont au-dessus d’eux un seul général qu’ils doivent suivre ; et que ce général sache également qu’il a au-dessus de lui un prince. Le gêner de manière ou d’autre, c’est empêcher qu’il ne réussisse : c’est lui ôter, s’il réussit, une partie de sa gloire : cependant, s’il ne réussit pas, on lui attribue toute la faute. A qui cette condition pourra-t-elle plaire ?

Il faut dans un général une grande bravoure et une grande capacité, qui le faisant estimer et respecter, lui rende officiers et soldats parfaitement soumis. Mais il faudrait aussi pour bien faire, qu’il sût par sa bonté gagner leurs cœurs. Quand le général a tout cela, une armée est alors un corps, dont tous les membres font naturellement effort pour sauver la tête : ou bien c’est une famille, dont le général est le père, les officiers sont autant de frères qu’une commune inclination fait agir. Alors, point de danger qui l’arrête, point de difficulté qu’il ne surmonte : le succès lui est comme assuré en tout ce qu’il entreprend. Mais aussi faut-il avouer que d’en venir là, ce n’est pas pour un général l’affaire d’un jour. Il y en a peu de semblables. Tels ont été cependant divers grands hommes des temps passés. Tel était, par exemple, Yang tsin général de l’armée de Tsi. Tout général qu’il était, s’agissait-il de loger ses gens, de les pourvoir d’eau, de leur préparer les vivres ? Souvent il mettait le premier la main à l’œuvre ; tantôt pour creuser un puits, ou faire un fourneau ; tantôt pour élever des baraques. Quelqu’un avait-il besoin de remèdes ? Il les lui portait lui-même. Enfin il vivait comme les soldats : aussi voulait-il que chacun fût alerte et brave : s’il en voyait parmi eux de lâches ou de paresseux, il leur donnait seulement trois jours de répit, au bout desquels, s’ils ne changeaient, il les cassait sans rémission. Il arrivait de là, que tous ses soldats, même les malades, non seulement étaient toujours prêts, mais toujours ardents à combattre. Bientôt les troupes de Yen et de Tsin, qui de concert attaquaient Tsi, pensèrent à se retirer, et Tsi demeura paisible.

Tel était encore dans le royaume de Hoei, le fameux Ou ki ; ayant été fait général de l’armée, il mangeait sans façon avec le moindre officier, et même avec le simple soldat. Fallait dormir ? Il ne faisait pas même étendre une toile. Il vivait comme les soldats ; et ce qu’il avait de plus qu’eux, il le partageait avec les premiers venus. Aussi ses gens, fussent-ils accablés de maladies[1], se faisaient un plaisir d’aller combattre : bien que Tsing, sous qui tout pliait alors, n’osa jamais attaquer Ou ki. Pourquoi au reste croyez-vous, que Yang tsin et Ou ki en usaient ainsi ? C’est qu’ils étaient persuadés que, pour tirer des officiers et des soldats tout ce qu’ils sont capables de faire, il faut se les attacher ; et que pour en venir à bout, le moyen le plus infaillible, est d’être bon à leur égard et bienfaisant.

  1.  Les Chinois disent mot-à-mot, fussent-ils malades jusqu'à ne pouvoir avaler rien que du liquide.