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heou[1]. Pourquoi ce prince leur donna-t-il pendant longtemps des récompenses modiques, lui qui dans l’occasion donnait avec tant de facilité un domaine de cent lieues ? C’est qu’il les traitait suivant leur portée, qui, de même que leur talent, était médiocre. Il les connaissait gens à tout entreprendre, dans l’espérance d’être avancés, et capables d’être gâtés par des récompenses anticipées.

Quand on met une armée sur pied, le plus sage parti est de lui donner un seul général, qui en dispose à son gré, et qui soit seul chargé du succès. Le meilleur cheval du monde, si on lui embarrasse les jambes, sera devancé par une mazette. Un homme, fût-il un second Mong puen, si on lui lie les bras et les jambes, pourra être insulté par une femme. De même gêner un général, c’est mettre obstacle à ses succès, et s’ôter le droit de juger qu’il soit capable de rien de grand. On gêne un général en trois manières. La première, est de l’astreindre aux ordres de la cour. La seconde, de diviser l’armée, et de nommer deux généraux d’une égale autorité. La troisième, de donner pour inspecteurs et pour conseillers, des personnes sans autorité sur les troupes, et d’assujettir néanmoins le général à suivre leur avis et leur direction. Dans le premier cas, le général, à proprement parler, n’est plus général : c’est un ressort dont l’action dépend d’une puissance assez éloignée ; d’où il arrive qu’agissant trop tard, c’est presque toujours sans succès. Dans le second et troisième cas, tout aboutit communément à ce qu’on s’en revient sans avoir rien fait. Car, outre qu’il naît des soupçons et des défiances, la seule diversité d’idées et de sentiments, tient en suspens, fait perdre le temps et l’occasion.

Cependant, de l’aveu de tout le monde, deux choses principalement peuvent rendre un général redoutable à l’ennemi ; une extrême activité, et un caractère décisif : par son activité, il est toujours en état de soutenir ou d’attaquer : par son esprit décisif, il sait prendre son parti, dès que l’occasion se présente. Ne vaut-il donc pas bien mieux laisser libre un général, que de le gêner ainsi ? Le proverbe dit fort bien : plusieurs bergers pour un troupeau, ne servent qu’à l’inquiéter ; qu’un seul berger le conduise, il marchera sans se débander. Anciennement le prince lorsqu’il nommait un général, lui disait, en touchant de la main son char : Allez, vous voilà chargé de mes troupes hors de la cour, c’est à vous seul de les commander. Suen vang ayant fait Sun tse général de ses armées, fit mourir Ki, quoiqu’il l’aimât fort, pour avoir voulu troubler Sun tse dans l’exercice de sa charge. Le roi de Ouei, pour soutenir Yang tsin qui commandait ses troupes, sacrifia le plus grand favori qu’il eut. Quelle autorité ne donna point Kao tsou à Hoai yn, et à ses autres généraux ? S’il s’était avisé de les gêner, jamais il n’eût détruit le parti contraire, ni possédé l’empire en paix.

Les rois de Yen et de Tchao en usèrent autrement. L’un gêna Lo y par Ki kié. L’autre, sur l’avis de Tchao ko, négligea celui de Li mou. Il

  1. Nom de dignité, comme serait celle de comte ou de marquis.