civilité leurs ministres : il y avait pour cela des cérémonies réglées qui s’observaient. Ce que nous lisons de Kien tchin et de Pi kong dans le Chu king, ce que le Chi king rapporte de Chin pé, de Tchong chan fou, et de quelques autres, nous fait connaître qu’en ces temps-là les ministres étaient encore sur un bon pied. Dans ces anciens temps, le prince et les ministres étaient comme la tête et le bras du même corps, comme le père et le fils, ou comme les frères dans une même famille. Tous leurs soins et tous leurs secrets étaient communs. Ils étaient également sensibles aux maux et aux avantages de l’État ; et certainement s’il y a une voie sûre et facile à un souverain, pour réussir dans les plus grandes entreprises, et pour se distinguer du commun des princes, c’est d’en user ainsi avec un premier ministre dont il a fait choix.
C’est proprement sous Tsin chi hoang, que s’est perdue cette utile et louable coutume. Il voulut seul être respecté : bien loin de faire aussi respecter les premiers ministres, il se fit comme une maxime de les traiter avec hauteur. Il alla jusqu’à les faire juger comme des criminels, et les faire mourir dans les supplices : chose inouïe avant ce prince ! Sous lui les ministres se virent comme confondus avec les officiers du plus bas ordre : il les traita toujours avec fierté. Mais si l’on cessa de voir dans le prince ces manières honnêtes et obligeantes, dont usaient nos anciens rois envers leurs ministres, par estime pour la sagesse et pour la vertu on ne vit plus guère aussi dans les ministres le même attachement et le même zèle.
Dans cet éloignement comme infini où les tenait la fierté du prince, ils ne voyaient en lui qu’un maître redoutable, qu’ils n’osaient aimer. Ils portaient encore le nom de ministres : mais la frayeur continuelle où ils vivaient, et le soin de pourvoir à leur sûreté, ne leur laissait plus la liberté nécessaire pour en bien remplir les devoirs. On vit Li sé le matin être fait ministre ; et le soir du même jour, pour une parole qui déplut au prince, perdre la vie dans les supplices. Qui n’aurait tremblé après cet exemple ? Aussi ceux qui étaient dans les emplois, en touchaient les appointements, s’étudiaient à ne pas déplaire (fallût-il pour cela tromper le prince) et s’embarrassaient peu du reste.
Sous la dynastie Han, du temps du règne de Kao tsou, prince d’ailleurs d’un grand mérite, on vit Siao ho ministre d’État mis aux fers. Sous Ven ti, prince qui était cependant la bonté même, Tcheou pou ministre d’État, fut cité aux tribunaux, pour y être confronté avec un officier du plus bas étage. King ti fit mourir Tcheou yu son premier ministre. Vou ti en fit mourir plus d’un, et dans les règnes suivants la même chose arriva plus d’une fois. Tristes événements qu’on peut regarder comme autant de suites du méchant exemple de Tsin chi hoang.
A la vérité, il s’est trouvé depuis quelques princes bien différents à l’égard de leurs ministres ; mais il y a toujours eu entre l’un et les autres une distance si énorme, qu’elle rendait l’accès du prince trop difficile ; et cela se sent encore du malheureux changement, qui commença sous Chi hoang. Comme il n’est pas à croire que les princes se déterminent à remettre les