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de se relâcher, la crainte où il est que la suite ne réponde pas aux commencements, lui fait redoubler son application. C’est ainsi qu’en ont usé tant de grands hommes des siècles passés : ils ont persévéré avec une constance invincible, dans l’étude de nos King, jusque dans un âge très avancé. Par ce moyen les uns ont toujours vécu dans l’honneur ; les autres après bien des années de travail, en ont enfin recueilli les fruits, et sont parvenus aux premiers emplois.

Dans notre siècle, hélas ! combien de gens laissant là l’étude des King, se font une occupation des échecs ; on s’y livre avec un si grand acharnement, qu’on néglige tout le reste, même le boire et le manger. Le jour vient-il à manquer ? On fait allumer les chandelles. L’on continue ; et quelquefois le jour revient, qu’on n’a pas fini. On épuise à cet amusement le corps et l’esprit, sans penser à rien autre chose. A-t-on des affaires ? On les néglige. Vient-il des hôtes ? On les éconduit. Vous n’obtiendriez pas de ces joueurs, que pour le plus grand repas de cérémonie, ou pour la plus solennelle et la plus exquise musique, ils interrompissent leurs combats frivoles. Enfin, à ce jeu, comme à tout autre, on peut perdre jusqu’à ses habits : du moins on se trouble, on se chagrine, on s’irrite ; et pourquoi ? Pour demeurer maître d’un champ de bataille, qui dans le fond n’est qu’une planche, et pour remporter une espèce de victoire, par laquelle jamais vainqueur n’a obtenu ni titres ni appointements ni terres.

Il y a de l’habileté, je le veux croire ; mais c’est une habileté également inutile à l’État en général, et aux familles en particulier. Ce chemin n’aboutit à rien. Car si j’examine à fond ce jeu par rapport à l’art de la guerre, je n’y trouve point de conformité avec les leçons que nous en ont laissé les plus fameux maîtres. Si je l’examine par rapport au gouvernement civil, j’y reconnais encore moins les maximes de nos sages. L’habileté de ce jeu consiste à surprendre son adversaire, à lui tendre des embûches, à profiter des fautes qu’il fait ; est-ce ainsi qu’on inspire la bonne foi, et la droiture ? Piller, tuer, et d’autres termes semblables, sont le langage de ces joueurs. Est-ce ainsi que l’on inspire la bonté et la clémence ? Enfin, le moins qu’on puisse dire de ce jeu, comme des autres, c’est que cet amusement frivole, détourne des occupations utiles. C’est comme si vous éleviez un morceau de bois ou une pierre, pour vous amuser à frapper dessus, ou à vous escrimer contre : je n’y mets pas de différence.

Tout homme sage, s’il est particulier, doit s’occuper de son domestique, pour bien pourvoir aux besoins de sa famille ; s’il est à la cour et au service de son prince, son attention doit être de donner des preuves de son zèle. Il doit souvent négliger pour cela jusqu’à ses besoins particuliers. Combien doit-il être plus éloigné de s’amuser au jeu des échecs ? Ces maximes, qui sont de tous les temps, ne furent jamais plus de saison qu’aujourd’hui : c’est une nouvelle dynastie qui commence. L’empire se ressent encore des troubles passés. La principale occupation de notre grand empereur est de chercher de grands capitaines, et de bons ministres. Pour peu qu’il trouve un homme capable, il lui donne de l’emploi, et le met en état de