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ne soit jamais sans gens de crédit et d’autorité. Supposons qu’il n’y en ait point du tout ; voilà le prince abandonné à lui-même, dans ses plus violents transports, et dans les affaires les plus critiques. Le moyen que l’État n’en souffre pas.

Supposons le prince assez modéré, pour écouter des remontrances : qui lui en fera, s’il n’y a pas un homme de poids, de crédit, et d’autorité ? Qui osera s’exposer à se perdre, en choquant le prince, ou en se chargeant de l’événement d’une grande affaire. Il se trouvera toujours des gens, qui pour des bagatelles, dont le bon ou mauvais succès importe assez peu, présenteront, pour se faire valoir, de fréquentes remontrances. Vient-il une affaire véritablement importante pour l’État ? s’agit-il de la ruine ? Tous ces gens deviennent muets : chacun d’eux craint de se perdre. Quoi de plus fâcheux pour un État, et pour un prince qui en est en même temps le maître et le père !

Autrefois le prince héritier de Ouei assembla des soldats pour prendre certain Kiang tchong, et s’en défaire. Le roi Vou ti en grosse colère, met aussitôt des troupes en campagne contre son fils. On se rencontra, on se battit, mais fort mollement, et le prince héritier se retira dans un pays voisin. Le roi toujours animé grossit ses armées, et entreprend de détruire les États qui l’auront reçu. S’il y avait eu alors à la cour un homme d’autorité et de crédit, tel que je l’ai représenté ; que cet homme levant hautement la tête, eût eu le courage de s’opposer à l’emportement du roi ; eût fait reconnaître au fils la faute qu’il avait faite ; eût fait apercevoir au père l’occasion qu’il lui avait donnée ; le roi eût eu le temps de se résoudre, le fils eût pris les moyens d’apaiser son père : tout se fût bientôt calmé. Mais hélas ! quoique chacun vît ce qu’il fallait dire et faire, personne n’osa ni parler, ni agir. C’est qu’il ne se trouva pas alors dans tout le royaume un homme d’autorité.

De tout cela, suivant mes faibles lumières, je crois pouvoir conclure que quiconque a véritablement à cœur les intérêts de l’État, doit regarder comme un vrai bien qu’il y ait quelqu’un de ce caractère, qui par une grande autorité et un crédit plus qu’ordinaire, retienne dans le devoir tous les officiers de l’empire, et qui, dans de fâcheux temps, puisse, pour le bien commun et celui du prince, entreprendre avec zèle un coup hardi, et le soutenir sans se perdre. J’avoue que, dans des temps heureux comme celui-ci, où tout l’empire jouit d’une paix parfaite, on s’en pourrait passer sans inconvénient[1]. Mais, outre qu’il est de la sagesse, de se prémunir de loin contre des événements fâcheux qu’on ne peut prévoir, tels gens sont toujours utiles dans un État.

  1. Ce discours est une espèce d’apologie en faveur de quelqu’un, contre le crédit et l’autorité duquel il y avait des murmures.