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bonne foi, et de leur faire haïr tout artifice ? Tirer des peuples beaucoup au-dessous de ce qu’on pourrait absolument faire, leur tenir parole même quand il est difficile de le faire, sont des maximes bien essentielles à ceux qui gouvernent : si l’on dit qu’elles ne sont pas praticables dans l’État où sont les finances ; je réponds que si l’on en use autrement, on pourrait bien y perdre au lieu d’y gagner.


Discours de Sou tché frère de Sou ché, ou il prouve qu’un prince doit connaître les différents caractères des hommes.


J’ai exposé ailleurs ma pensée sur l’art de bien gouverner : je ne répète point ce que j’en ai dit. J’ajoute seulement qu’un prince qui veut y réussir, doit s’appliquer à bien connaître les divers génies, et les différents caractères des personnes qu’il emploie ; parce que tout le reste sans cela, devient assez inutile. Et c’est pour faciliter une connaissance si nécessaire, que je vais ramasser ici différents portraits.

Supposons aujourd’hui que notre empereur n’a auprès de sa personne et dans les emplois, que des officiers d’une sagesse reconnue, d’une probité à l’épreuve, et incapables de donner à leur prince le moindre chagrin, en s’écartant de leur devoir. Il lui est cependant utile de savoir, et dangereux d’ignorer qu’il peut s’y en trouver d’autres, et que même parmi les gens de mérite, il y en a de caractère très différent. Il y en a dont toute la passion est l’amour de la gloire : ils cherchent à se faire un nom. Les richesses ne les tentent pas : s’ils en ont, ils les abandonnent à leurs parents. Se présente-t-il un emploi qu’ils peuvent facilement se procurer ? Bien loin de s’empresser pour l’obtenir, ils se font honneur de le céder à d’autres qui leur sont inférieurs. Ce n’est pas qu’ils soient éloignés d’entrer dans les charges. Si le prince les met en place, et les traite avec honneur et suivant les rits, ils en sont ravis. Mais s’il les traite avec moins de distinction ; insensibles aux appointements et à tout le reste, ils se retirent. Quelqu’un de ces gens-là est-il en charge ? Rien de plus tempérant et de plus désintéressé ; et cela pour se distinguer et s’élever au-dessus du commun des hommes. Si le prince par estime s’empresse de se l’attacher par des avantages considérables, il en a honte, pour ainsi dire, et son cœur n’est pas content.

D’autres sont passionnés pour le bien. Les emplois leur plaisent par de gros appointements. Ils profitent avec soin de toutes les occasions d’amasser, pour se mettre plus à l’aise eux et leur famille. Qu’on les enrichisse en terres, en maisons, on tire d’eux de grands services. Mais si le prince pour les connaître mal, prétendait se les attacher par des distinctions de