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cupidité, ne font qu’augmenter dans le cœur des peuples ; ils ne savent plus en rougir. Quand nos lettrés veulent rappeler ce qu’ils nomment l’antiquité, en rétablissant certains dehors de cérémonies et de musique, tout ce qu’ils y gagnent, c’est que les peuples voyant leurs évolutions et leurs courbettes, se mettent la main sur la bouche, et dans le fond étouffent de rire : ou bien ils se regardent les uns les autres comme étonnés, et font sentir par leur contenance, qu’une telle musique ne leur plaît guère. Cela étant, peut-on espérer de les ramener précisément par cette voie à l’amour de la vertu, et à l’horreur pour le vice ? Pour moi, je crois qu’il faut prendre une autre méthode. Pour leur inspirer les vertus qui sont le fond et l’essentiel, il faut leur en donner l’exemple comme fit Vou vang, et surtout commencer par celles qu’il importe le plus aux peuples que le prince ait, et qu’il importe le plus au prince qu’aient ses sujets. Par exemple, si les peuples ne savent ce que c’est que fidélité et bonne foi, le moyen que la paix et le bon ordre puissent longtemps subsister. Si les peuples ignorent entièrement ce qu’on appelle généreuse équité, constance, le moyen qu’ils demeurent unis dans les dangers ! Enfin, si dans les temps les plus tranquilles, les peuples ne pensent qu’à tromper la vigilance de ceux qui les gouvernent ; si au premier embarras où ils voient le prince, ils sont disposés à l’abandonner ; on ne peut pas se flatter d’avoir le secret de l’antiquité pour la conversion des peuples, on en est bien éloigné. On peut dire au contraire, que les choses en étant là, s’il n’arrive pas de grandes révolutions, c’est un pur hasard, et un grand bonheur. Mais veut-on inspirer aux peuples la sincérité, la fidélité, la bonne foi ? Le secret pour l’obtenir, c’est que le prince et ceux qui gouvernent, soient eux-mêmes exacts à tenir parole aux peuples. Veut-on inspirer un noble désintéressement, une généreuse équité ? Le moyen le plus efficace, c’est que dans le prince et dans ceux qui gouvernent, on ne voie plus de cupidité, de désir d’avoir, et d’amasser.

Il y a du temps que voulant lever à l’occident du fleuve Jaune, des troupes dont on jugeait avoir besoin de ce côté-là, on enrôla par familles presque tout ce qu’il y avait de gens capables de porter les armes. Pour les engager à se faire soldats, on les assura par des déclarations publiques émanées de la cour, qu’on n’avait recours à eux qu’en attendant, pour une nécessité pressante, à laquelle on ne pouvait d’ailleurs assez promptement pourvoir, qu’ils ne serviraient pas longtemps, qu’ils retourneraient ensuite avec pleine liberté à leurs occupations ordinaires. Cependant, au lieu d’en user ainsi, bientôt après, pour s’assurer d’eux, on les marqua tous avec rigueur, et l’on n’en a pas congédié un seul. Dans les années nommées Pao yuen, on fit faire divers mouvements et différentes marches à toutes les troupes. On prit occasion de là d’augmenter beaucoup les subsides. Ce n’était, disait-on, que pour le besoin présent. Depuis il s’est écoulé bien des années, et ces charges subsistent encore. Quand on en use ainsi avec les peuples, le moyen de leur inspirer la