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bien faire, mais encore une constance admirable à ne point se relâcher ou se démentir.

Mais encore quel fut donc le secret de nos anciens princes, pour en pouvoir venir là ? Le voici. Persuadés que le fils d’un Grand, quand il dégénère, n’a rien qui le mette avec raison, au-dessus du simple peuple, ils n’avaient égard uniquement qu’au mérite et à la capacité. Ils étaient si fermes que personne, de quelque naissance qu’il fût, ne pouvait se promettre sans cela d’être avancé. Par là ceux d’une naissance illustre avaient un frein à la licence qui leur est si naturelle, et s’efforçaient de se soutenir. Par là dans les plus basses conditions, ceux qui se sentaient du mérite, avaient un aiguillon qui les excitait. Par là croissait chaque jour dans tout l’empire une généreuse émulation, dont les effets étaient admirables. O que ces anciens princes l’entendaient bien ! Dans la suite on s’est écarté de cette méthode. Actuellement il y a certains emplois attachés aux personnes d’un certain rang : d’autres au contraire, quelque mérite qu’ils aient, ne peuvent parvenir aux mêmes emplois. On ne laisse pas d’avoir en vue, comme autrefois, d’avancer les gens de mérite et de vertu : du moins on le dit. Mais je trouve qu’on s’y prend mal. Par exemple, c’est une chose aujourd’hui réglée. Un homme est-il passé tseng[1] sseë ? Le voilà sûr d’un emploi qui le rend également noble et riche. N’est-ce pas l’avancer un peu vite. Il a réussi dans ses compositions un jour d’examen : qui peut bien conclure de là s’il a du talent et du génie pour les affaires ? Mais ce que je trouve encore pis, c’est qu’on ferme le chemin à ceux qui sont d’une certaine condition, ou qu’on leur assigne un terme, au-delà duquel ils ne puissent aller. Les officiers des tcheou[2] et des hien[3], s’ils sont une fois destitués de leur emploi, ne peuvent plus rentrer en charge. Ce sont autant de gens qu’on réduit à ne savoir que devenir, qui n’ayant plus rien à espérer ni à perdre, deviennent capables de tout, et nuisent beaucoup parmi le peuple. Tel d’entr’eux de son fond est honnête homme, a son mérite, et son talent ; par malheur un accident lui arrive, pour lequel il est cassé. Dès lors plus d’emploi pour lui : la porte lui en est fermée pour toujours. C’est un homme qu’on désespère, contre la maxime de nos anciens, et qu’on expose conséquemment à devenir très méchant.

Je voudrais que quand ces officiers sont cassés, à moins que ce ne soit pour certaines fautes trop grièves, et qui marquent un méchant homme, on leur procurât les occasions et les moyens de réparer leurs fautes ; du moins qu’on leur laissât l’espérance de se pouvoir rétablir. Comme les bas officiers des grands tribunaux de la cour sont gens dont on ne se peut passer, on a jugé que, pour n’en pas manquer dans ces postes, il était à propos de régler qu’après tant d’années de service, on leur donnerait des emplois dans les provinces. On a eu raison d’en user ainsi. Mais parce

  1. Degré de littérature.
  2. Ainsi s’appellent les villes du second ordre.
  3. Ainsi s’appellent celles du troisième ordre.