Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/757

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour heureuses des guerres, qui font périr tant de personnes innocentes de tout âge, qui épuisent l’État, qui dépouillent des princes soumis, dont tout le fruit se réduit à la possession de quelques terres très inutiles, et au vain nom de conquérant.

Ébloui du faux éclat de cette réputation, sans faire attention aux maux réels que ces guerres venaient de causer, vous en entreprîtes une nouvelle contre Ngan vou[1]. La dépense fut énorme pour les convois. Il mourut dans ces corvées un monde infini. Votre armée de plus de cent mille hommes, pendant qu’on amassait les munitions de guerre et de bouche, fut ruinée par les maladies, avant que d’avoir vu l’ennemi. Ce malheur peu attendu semblait avoir ralenti votre ardeur guerrière. Mais bientôt cette passion s’est réveillée. Voilà une nouvelle armée en campagne : sous la conduite de Li hien, vos troupes ont eu quelque avantage, Votre Majesté nage dans la joie : elle ordonne qu’on avance ; et il paraît que dans le fond du cœur, elle regarde ces États voisins comme une conquête sûre et facile.

Les desseins de Tien sont difficiles à approfondir. Pour moi, je les respecte et je les crains. Quand dans toute une campagne, on en est venu une fois aux mains, si vos troupes ont vaincu, aussitôt les courriers volent, et vous donnent avis de la victoire ; tous les grands officiers de votre cour s’empressent à vous en féliciter par écrit, selon la coutume. C’est à qui fera le plus valoir nos succès, et à qui tournera mieux son compliment pour vous plaire.

Cependant bon nombre de vos sujets à qui le fer a ôté la vie, sont demeurés sur la place. Les chemins sont pleins de ceux que la fatigue des convois a fait succomber. Vos peuples en bien des endroits accablés par les subsides, et par la cruauté des collecteurs, ont abandonné leurs domiciles, et errent çà et là. Les maris vendent leurs femmes : on ne voit de toutes parts dans les campagnes, que gens pâles, décharnés, prêts à se pendre de désespoir. Ici un pauvre vieillard pleure son fils, l’unique appui de sa vieillesse. Là, un bon fils pleure son père, à qui la guerre ne lui a pas permis de rendre les plus essentiels devoirs. D’un côté c’est un orphelin, de l’autre une veuve, qui jette des cris lamentables. Votre Majesté ne voit ni n’entend rien de tout cela.

Il en est à peu près comme de vos repas. On vous y présente du bœuf, du mouton, et d’autres mets bien assaisonnés. Vous en mangez avec plaisir. Mais, si avant le repas, vous aviez vu ces animaux entre les mains du boucher, d’abord crier et se défendre, céder ensuite à la force, être assommés, égorgés, étendus sur une table, écorchés et hachés en pièces ; quelque assaisonnement qu’on pût leur donner, quand on vous les présenterait à table, les bâtonnets vous tomberaient des mains : vous n’auriez pas le cœur d’en manger. Que serait-ce si V. M. pouvait voir de ses yeux

  1. C’est ce que nous appelons le Tong king.