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grosse somme, des millions de familles sont vexées, les coffres et les greniers du prince se vident, les peuples s’épuisent, le froid et la faim les pressent ; ils s’assemblent, ils volent, ils pillent, et portent l’alarme et le trouble par tout l’empire. Les mourants, les blessés, tous ceux qui souffrent, éclatent en murmures contre le prince, et lui attirent enfin pour punition des inondations, des sécheresses, ou semblables fléaux. Tantôt c’est un général, qui, à la tête d’une armée dont il se sent le maître, met à ses prétendus services le prix qu’il veut. Tantôt ce sont les subalternes et les soldats rebutés, qui se débandent ou se révoltent. Enfin la guerre traîne après soi cent et cent inconvénients : et les malédictions de tant d’innocents qu’elle fait souffrir, ne peuvent manquer de tomber particulièrement sur le prince qui la veut élire, et sur ceux qui l’y portent par leurs conseils. Combien de princes ou passionnés pour la guerre, ou trop faciles à s’y engager, l’ont éprouvé pour leur malheur !

Ne parlons point, à la bonne heure, de ceux que de honteuses défaites ont fait périr. Considérez seulement où ont abouti les succès de ceux que la victoire semblait suivre. Chi hoang devenu empereur par la destruction des six royaumes, qui partageaient alors la Chine, voulut pousser plus loin ses conquêtes. Il attaqua Hou et Yué[1] : on ne peut dire ce que tout l’empire souffrit pour soutenir ces guerres. Chi hoang s’y obstina ; et par la conquête de ces pays-là, il étendit les limites de l’empire au-delà de ce que possédaient nos trois fameuses dynasties. Mais il laissa les choses en mourant dans un tel état, qu’à peine la terre de son tombeau avait eu le temps de bien sécher, quand Eul chi, son fils et son successeur, perdit l’empire et la vie.

Sous la dynastie Han, l’empereur Vou ti voulut profiter des épargnes de Ven ti et de King ti ses prédécesseurs, et de l’abondance que leur règne avait mis dans tout l’empire. Il entreprit donc de grandes guerres. Après avoir dompté et soumis les Hiong nou[2] au nord, il attaqua et soumit du côté de l’occident quantité d’autres royaumes. Chaque année nouvelle entreprise, et presque toujours nouveau succès. Enfin l’année nommée Kien yuen, les fâcheuses suites de ces guerres commencèrent à se faire sentir. Il s’éleva dans l’empire plus d’un Tchi heou[3]. Ces troubles durèrent trente ans entiers, et firent périr bien du monde. Survint, à l’occasion de quelques sortilèges, une mésintelligence éclatante entre l’empereur et son fils : mésintelligence qui fit couler des ruisseaux de sang dans la capitale de l’empire, qui perdit le jeune prince, et qui coûta bien des chagrins à son père. Vou ti, à la vérité, se reconnut, se modéra, et se repentit, mais trop tard, d’avoir ainsi passé tant d’années dans la guerre et dans le trouble.

  1. Noms de pays.
  2. Tartares.
  3. Fameux rebelle sous Hoang ti, disent les histoires chinoises.