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Je ne sais ce que vos officiers prétendent. Ce que je sais, c’est que chaque jour ce sont de nouveaux raffinements pour amasser, et qu’ils n’ont point d’autre règle que leur humeur ou leur caprice. A cela, je dis en moi-même : y a-t-il donc des âges et des règnes malheureux, pendant lesquels il manque de gens vertueux et capables ? est-ce que le prince ne choisit pas bien ou gouverne mal ceux qu’il emploie ? Dans l’heureuse antiquité, les particuliers de tout rang, hommes et femmes, jusqu’aux simples revendeurs, jusqu’aux laboureurs dans les campagnes, jusqu’aux bûcherons dans les bois, avaient du zèle pour l’État. Chacun cherchait à aider de son mieux le prince. Aujourd’hui le zèle manque jusque dans le corps des censeurs. Ils sont tous muets : ou si quelques-uns d’eux parlent, c’est dans la vue de pourvoir à leur propre sûreté, en s’excusant d’un emploi qu’ils n’ont pas le courage de bien remplir. Cependant vos premiers ministres avec une insatiable cupidité, donnent dans tout ce qui s’appelle intérêt, d’une manière si basse et si indigne, qu’il n’y a plus dans votre empire d’hommes vraiment sages et vertueux, qui veuillent avoir avec eux le moindre commerce, ni leur parler, même en passant.

Est-ce au temps, est-ce à V. M. que tout cela doit s’attribuer ? Quand je veux l’attribuer au temps, ma mémoire aussitôt me rappelle que Yao et Chun eurent Hoan, Ki, et autres semblables ; que Tching tang et Ven vang eurent Y et Liu ; que sous les dynasties Han et Tang, tous les bons princes ont eu des officiers vertueux et zélés ; qu’il en a été ainsi depuis le commencement de votre dynastie, sous vos illustres ancêtres ; qu’on a vu dans ces divers temps entre le prince et ses officiers la même correspondance, qu’on voit dans le corps humain entre le cœur et les membres. C’était un concert admirable réglé par la voix du prince. Tout conspirait au bien de l’État. Tout se ressentait aussi dans l’État d’une correspondance si parfaite. Sous votre règne elle ne se voit point. De votre part ce n’est que clémence et que bonté. De la part de vos ministres, c’est le contraire.

Si cela ne peut s’attribuer à la différence des temps, il faut bien l’attribuer à ce que V. M. ne suit pas la bonne méthode dans le choix de ceux qu’elle emploie et dans la manière de les gouverner, faites-y attention ; il y va de l’intérêt de votre maison, de choisir mieux, et de tenir plus en bride ceux sur qui tombe votre choix. Tel qui pour un repas qu’on lui donne en passant et par occasion est prompt à témoigner sa reconnaissance, en manque pour son père, qui l’a nourri tant d’années. C’est un désordre qui est assez commun chez la vile populace. Aujourd’hui on le voit régner parmi les officiers du premier ordre. C’est une maxime reçue, que le prince et le sujet doivent se regarder comme père et fils. A plus forte raison ces ministres et autres grands officiers, que le prince distingue par de gros appointements, et par un rang supérieur, doivent lui témoigner en bon fils leur reconnaissance et leur zèle. Cependant que voyons-nous ? D’un côté un prince plein de bonté, tendre sur les maux et sur les dangers de son État ; de l’autre ses officiers qui se contentent de vivre de leurs appointements et qui regardent leur prince, non comme leur père, mais comme