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cette requête, en ordonnant qu’on travaillât à la fonte de ces canons, et que Nan hoai gin, (c’était le nom chinois du père Verbiest) présidât à ce travail, mais qu’auparavant il lui présentât un mémorial, où fussent peintes les figures, et les modèles des canons qu’il ferait fondre.

Le Père obéit à l’ordre de l’empereur, et le 11 février de l’année 1681 il présenta ces modèles ; ils furent agréés, et l’ordre fut donné au tribunal, qui a l’intendance des bâtiments et des ouvrages publics, d’y faire travailler incessamment, et de fournir pour cet effet toutes les choses nécessaires.

On employa plus d’un an à la fabrique de ces canons. La plus grande difficulté qu’eut le Père, vint de la part des eunuques du palais : ils souffrirent impatiemment qu’un étranger fût si avant dans les bonnes grâces de l’empereur ; il n’y a point d’efforts qu’ils ne firent, pour empêcher le succès de l’ouvrage. Ils se plaignaient à tout moment de la lenteur des ouvriers, tandis qu’ils faisaient voler le métal par de bas officiers de la cour. Aussitôt qu’un des plus gros canons fut achevé, avant même qu’on eut pu le polir en dedans, ils y firent insérer avec violence un boulet de fer, pour en rendre l’usage inutile. Mais le Père après l’avoir fait charger de poudre par l’embrasure, y fit mettre le feu, et le boulet sortit avec tant de fracas, que l’empereur ayant ouï le coup de son palais, en voulut voir l’effet sur-le-champ.

Quand tous ces canons furent achevés, on les conduisit, pour en faire l’essai, au pied des montagnes qui sont vers l’occident, à une demie journée de la ville de Péking. Plusieurs mandarins s’y rendirent pour les voir tirer ; et l’empereur ayant appris le succès de cette épreuve, y alla lui-même avec quelques gouverneurs de la Tartarie occidentale, qui se trouvèrent à Peking : il y conduisit toute sa cour, et les principaux officiers de ses milices ; on les chargea en sa présence, et on les tira plusieurs fois contre certains endroits qu’il avait désignés.

Ayant vu que les boulets ne manquaient jamais d’y porter, par le soin que prenait le Père de les dresser avec ses instruments, il en eut tant de joie, qu’il fit sous des tentes et au milieu de la campagne, un festin solennel aux gouverneurs tartares, et à ses principaux officiers de guerre : il but dans la coupe d’or à la santé de son beau-père, de ses officiers, et même de ceux qui avaient pointé le canon d’une manière si juste.

Enfin s’adressant au père Verbiest qu’il avait fait loger auprès de sa tente, et qu’il fit appeler en sa présence, il lui dit : « Les canons que vous nous fîtes faire l’an passé, nous ont fort bien servi contre les rebelles, dans les provinces de Chen si, de Hou quang, et de Kiang si ; je suis fort content de vos services » ; et alors se dépouillant de sa veste fourrée de martres d’un grand prix, et de sa robe de dessous, il les lui donna comme un témoignage de son amitié.

On continua durant plusieurs jours l’essai des canons, et l’on tira vingt-trois mille boulets, avec une grande satisfaction des mandarins, qui les faisaient servir par leurs officiers. Ce fut en ce temps-là, que le Père composa