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bannissant les soupçons et les défiances, il met, pour ainsi parler, leur zèle au large ; alors ces officiers de leur côté, libres de crainte et d’inquiétude, s’occupent tout entiers du soin de le bien servir. Comme ils sont assurés du cœur du prince, ils lui ouvrent aussi le leur, et ne lui laissent rien ignorer de ce qu’ils jugent lui être utile. Vous, par une précaution hors de saison, dans une déclaration faite exprès pour exciter tous vos bons sujets à vous aider de leurs avis, vous insérez six restrictions tellement conçues, que quiconque osera parler, ne peut éviter de périr, si on veut le perdre. On ne pourrait, à mon sens, guère mieux s’y prendre, pour obliger chacun à se taire.

Supposons cependant que quelqu’un parle : pour peu qu’il blâme ou qu’il loue dans son discours, rien de plus aisé que de le perdre, en disant que c’est haine ou liaison secrète, ou quelque autre intérêt caché qui le fait parler. Pour peu qu’un officier en charge touche en passant quelque point, qui dans la rigueur ne se trouve pas être exactement de son ressort, il est perdu, si l’on veut, on dira qu’il oublie son rang. Celui qui aura traité dans son discours de ce qui peut troubler l’État, et des moyens d’en assurer le repos, passera, quand on voudra, pour avoir touché trop librement aux grands ressorts du gouvernement ; si par hasard on traite une matière à laquelle quelque ancien édit, ait du rapport, on passera pour rebattre mal à propos des choses établies et pratiquées. Le zèle inspire encore à quelqu’un de se déclarer dans l’occasion contre certain nouveau règlement qui fait depuis peu tant de bruit : s’il en expose les inconvénients, on l’accusera de chercher à se faire valoir, en frondant les vues de la cour. Enfin l’on ne pourra tâcher d’attendrir le prince sur les misères de ses peuples, sans s’exposer à être condamné comme un brouillon, un séditieux, un chef de révolte. Cela étant je ne vois plus rien, sur quoi on puisse s’exprimer avec quelque sûreté.

Certainement une déclaration ainsi conçue, au lieu de vous procurer des mémoires et des avis, vous en prive plus que jamais. Je vous supplie donc très instamment de retrancher ce milieu, et de le remplir d’une autre manière, conformément à ce que j’eus l’honneur de vous exposer le trentième de la troisième lune. Il est du bien de votre État et de votre honneur, qu’on n’ait pas lieu de soupçonner qu’en demandant des avis, vous voulez réellement leur fermer la porte.