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tout le reste, si même vous vous en irritez, l’effet naturel de cette conduite, est que les flatteurs se produisent, et que les gens de probité se retirent. Est-ce le moyen de procurer le bonheur de vos sujets, et d’illustrer votre règne ? Votre dynastie, dès son commencement, à l’exemple des précédentes, a établi des censeurs, qui fussent, pour ainsi parler, les oreilles et les yeux du prince ; afin que ni ministres, ni autres, n’osassent rien lui cacher de ce qu’il importe qu’il connaisse. Toutes les affaires qui viennent à la cour, passent par les mains des ministres. Ce sont eux qui en délibèrent, qui en décident, et qui sous le bon plaisir du prince, en promulguent la décision ; s’il arrive qu’un censeur, selon le devoir de sa charge, vous fasse des représentations sur ce qu’ils décident, et vous propose ses raisons : V. M. au lieu d’examiner elle-même son mémorial, le remet sur-le-champ à ceux-là mêmes, dont on censure la décision, et s’en rapporte à leur jugement. Où sont ceux qui ont assez de droiture pour reconnaître que ce qu’un autre propose, vaut mieux que ce qu’ils ont déjà résolu. Encore moins en trouve-t-on qui avouent qu’ils ont eu tort, et que la censure est juste. Tout ce que V. M. gagne à en user de la sorte, c’est de se faire la réputation d’un prince qui n’aime point les avis, et qui cherche à s’en délivrer. Pour vos officiers, ils en retirent cet avantage d’être les maîtres absolus, et tranquilles dépositaires de l’autorité souveraine.

Les trois points que j’ai touchés, ne sont point choses secrètes. Tout le monde en est instruit. Il n’est point d’officiers fidèles et zélés qui n’en gémissent. Mais on craint de votre part un mouvement de colère, et de la part des personnes intéressées un ressentiment presque aussi terrible. Ainsi l’on n’ose parler. Cependant la tristesse, le chagrin, l’indignation, règnent dans le cœur de vos bons sujets. Plus ces sentiments sont retenus, plus ils sont violents, et je ne m’étonne point qu’ils attirent cette intempérie des saisons. Si j’ai la hardiesse de parler ainsi, c’est pour vous supplier de faire attention qu’ayant au-dessous de vous les hommes, vous avez Tien au-dessus, et pour vous conjurer de répondre aux desseins du Ciel, et au désir de vos sujets. Vous ne le pouvez mieux faire qu’en remédiant efficacement aux trois points que j’ai marqués. Acquittez-vous envers l’impératrice mère, de tous les devoirs d’un bon fils. Soyez attentif à lui faire plaisir, et faites-vous une affaire de la rendre heureuse et contente. Témoignez de la bonté aux jeunes princesses vos sœurs, ayez l’œil à leurs besoins : établissez-les quand il sera temps. N’abandonnez à personne l’autorité souveraine ; elle n’appartient qu’à vous seul. Dans le choix de vos officiers, distinguez le vrai mérite ; dans les récompenses et les châtiments, ayez uniquement égard à la grandeur des services, et à la grièveté des fautes. Fermez désormais la porte aux flatteurs, éloignez ceux qui sont en place. Ouvrez la porte aux avis. Écoutez sans préjugés tous ceux qu’on vous donnera. Suivez avec courage et avec constance, ceux qui seront les plus salutaires.

Au reste il ne suffit pas de témoigner par des paroles, que vous voulez désormais tenir cette conduite ; il faut qu’on le voie par vos actions, et que