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de laisser aller les choses l’ancien train, vous n’examinez rien à fond ; et pendant qu’on veille avec attention sur des bagatelles, on néglige entièrement ce qui fait le fond du gouvernement.

Il y a dans les emplois des officiers tout à fait indignes, gens sans mérite et sans vertu : vous les connaissez : et comme si vous n’aviez pas le courage de les éloigner, vous les y laissez. L’empire ne manque pas de gens capables, qui joignent à de grands talents beaucoup de sagesse et de probité. Vous en êtes très bien instruit, et vous les reconnaissez pour tels ; cependant vous ne pensez pas à eux. Tel parti est dangereux, et sujet à de grands inconvénients ; on vous l’a fait voir, vous en êtes convenu, cependant vous le laissez prendre. Tel autre parti est bon, vous le savez ; on vous en a fait toucher au doigt les avantages. Cependant vous n’osez vous déclarer et dire : je veux qu’on le prenne. Ceux dont vous vous servez sentent cette faiblesse ; ils en profitent, ou plutôt ils en abusent. Plus maîtres encore qu’ils n’auraient pu l’être sur la fin du dernier règne, ils sont aussi plus hardis. Leur caprice ou leur intérêt décide de tout. Avancer les gens les plus incapables, et absoudre les plus criminels, ne sont pas choses dont ils rougissent. En un mot ils osent tout, et ne gardent plus de mesure. C’est ainsi que vous gouvernez l’empire ; est-ce là dignement répondre à ce qu’il attendait de vous ?

En troisième lieu, vous avez à la vérité de belles qualités naturelles : mais êtes-vous mieux partagé que ne l’étaient Yao, Chun, Yu, et Tching tang ? Il faudrait à l’exemple de ces grands princes, chercher à enrichir un si beau fond, en profitant des lumières des sages. Or c’est ce qu’on ne vous voit point faire. Au contraire, avez-vous eu quelque vue, et avez-vous pris un parti ? Quelque chose qu’on vous dise pour vous en faire sentir les inconvénients, vous ne voulez jamais en démordre. Non, les plus vaillants soldats ne défendent pas avec plus d’opiniâtreté une place où l’ennemi les assiège, que vous défendez votre sentiment. Tout ce qu’on vous dit de contraire, n’entre point dans votre esprit. En user de la sorte, ce n’est pas travailler suivant la maxime de nos sages, à réunir bien des rivières pour en former une vaste mer. Un sage prince écoute tout, et pèse tout sans prévention. En examinant différentes vues, il ne dit point : celle-ci est de moi, celle-là d’un autre. Celle-ci est d’un de mes proches, celle-là d’un parent plus éloigné. Celle-ci m’a été suggérée d’abord, celle-là n’est venue qu’après. Ces différences ne sont point ce qui le fait pencher de côté ou d’autre : il cherche la meilleure, et c’est tout. Or comment la distinguerait il cette meilleure vue, s’il se laissait préoccuper par de semblables préjugés ?

Le Chu king dit : « Quelqu’un ouvre un avis contraire à vos inclinations et à vos idées : c’est une raison pour vous de présumer qu’il est bon, et d’en peser avec plus de soin l’utilité et les avantages. Un autre donne dans vos vues, dès là il faut faire une plus grande attention aux raisons qui les combattent. » Que si contre ces maximes n’écoutant avec plaisir, et n’embrassant avec joie que ce qui s’accorde avec vos idées, vous rejetez