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lisons dans le Ta hio[1] : Celui qui veut faire régner dans sa conduite la raison et la sagesse, doit tenir son cœur droit et dans l’équilibre. Or le cœur perd cette droiture, et cet équilibre, quand des inclinations ou des aversions particulières le font pencher d’un côté. De simple prince du sang vous avez été fait héritier du trône, où vous êtes maintenant assis ; c’est avoir monté bien haut. Il est assez naturel que dans cette élévation, vous conserviez quelque inclination, ou quelque aversion particulière, pour ceux qui vous ont rendu autrefois quelque bon office, ou causé quelque déplaisir. Prenez-y bien garde ; ces inclinations et ces aversions ne doivent point influer dans votre gouvernement.

La grande règle des souverains est de récompenser la vertu et de punir le vice, d’avancer les gens de mérite et de probité, d’éloigner ceux qui en manquent. Les honneurs et les emplois sont le plus précieux trésor des États. Le prince ne doit point les départir à des sujets, dont tout le mérite soit de lui agréer par quelque endroit. Bien moins doit-il faire servir à quelque ressentiment particulier, les châtiments réglés par les lois, contre ceux qui sont convaincus de les avoir transgressées. C’était anciennement devant toute la cour assemblée que se distribuaient les dignités et les emplois, comme c’était en plein marché que s’exécutaient les criminels ; comme si le prince avait voulu avertir par là, que ses inclinations particulières n’avaient en tout cela aucune part, qu’il distribuait les récompenses à des personnes, que le public n’en pouvait juger indignes ; et que ceux qu’il jugeait dignes de mort, y étaient en même temps condamnés par la voix publique.

Aujourd’hui, parmi les officiers de votre empire, il y a bien du mélange. Il y a des gens de vertu et de mérite : mais ils sont mêlés et confondus dans la foule ; bons et mauvais vont de pair. C’est un désordre infiniment préjudiciable au bien de l’État. Je voudrais que V. M. s’appliquât sérieusement à y apporter remède. Pour cet effet, voici ce qu’il faut faire. Étudiez-vous à bien connaître ceux dont la vertu et les talents sont au-dessus du commun, et qui par là sont les plus capables de bien soutenir les espérances du public. Ceux que vous reconnaîtrez tels, tirez-les incessamment de la foule, mettez-les dans les premiers postes, et quand ils auraient eu le malheur de vous désobliger autrefois, ne laissez pas de les avancer à proportion de leurs services. Usez-en de la même sorte en matière de châtiment. Quelque inclination que vous vous sentiez pour quelqu’un, s’il est convaincu de quelque crime, et pour cela détesté des gens de bien, et condamné par la voix publique, ne vous laissez point fléchir jusqu’à lui pardonner. Par cette conduite, bientôt il n’y aura plus ni gens de mérite sans emploi, ni gens sans talents dans les charges : vous avancerez la vertu, vous ferez trembler le vice, vous verrez régner l’ordre à votre cour. Tous vos peuples en sentiront les effets, vous ferez leur bonheur par votre sagesse ; ils feront réciproquement le vôtre par leur attachement et leur soumission,

  1. La grande étude, ou la grande science. Cést le titre du livre.