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vous dise, quels sont sur cela les sentiments de tout l’empire, et les miens plus que de tout autre. Le feu empereur a régné quarante et un ans. Sous son règne aussi heureux que long, l’empire a ressenti l’effet de les bontés. Il n’est aucun de ses officiers, qui ne soit pénétré[1] de reconnaissance ; comme personne ne lui doit plus que moi, qui de pauvre et simple lettré, me suis vu élevé aux plus grands emplois, personne aussi n’a pour ce bon prince des sentiments plus sincères et plus vifs de respect et de gratitude. Jugez de là, quelle peine c’est pour les sujets de votre empire, et pour moi en particulier, de voir ainsi négligées l’impératrice son épouse, et les princesses ses filles. J’y suis si sensible, que je n’ai pas le cœur d’accepter la grâce que vous me faites de m’avancer. Que sont mes faibles services en comparaison de ce que doit V. M. au feu empereur et à l’impératrice mère ? Ce qu’est un fil de soie, ou un cheveu comparé à tout l’univers. Oublier ce que vous leur devez pour le plus grand de tous les bienfaits, et récompenser en moi si peu de chose : quel renversement ! Quelle inconséquence ! Pouvez-vous ne la pas sentir ? Pour moi, je vous l’avoue, je la sens très vivement. Ce que je souhaite sur toutes choses, c’est que vous rendiez avec exactitude au feu empereur les devoirs accoutumés, et que vous honoriez en bon fils l’impératrice. Outre que vous devez cet exemple à tout l’empire, c’est le moyen de gagner le cœur de vos officiers. Pour moi, quand je vous verrai changé, fallut-il ne vivre que de pois et d’eau, il n’est point de fatigues et de travaux, qui me puissent rebuter, point de dangers qui m’effraient. Je servirai avec plaisir Votre Majesté jusqu'au dernier soupir de ma vie. Mais aussi, sans ce changement, quand Votre Majesté chaque jour m’offrirait de nouveaux honneurs et de plus grands biens, je ne pourrais me résoudre à les accepter. L’État se sent encore du sage gouvernement de vos ancêtres : les lois qu’ils ont établies, s’observent, les peuples sont soumis, les officiers vigilants : tout va son train. Il n’est pas besoin que Votre Majesté encore en deuil s’inquiète et s’applique fort aux affaires. Ce qui presse, et à quoi, sans vous, tous vos officiers ne peuvent rien, c’est de pourvoir à ce qui regarde l’impératrice mère, et les cinq princesses filles de Gin tsong. De vous seul dépend leur sort, c’est à vous de les rendre heureuses. Si vous le faites en bon fils et en bon frère, vous vous attacherez les peuples, et vous attirerez le secours de Tien sur vous et sur votre postérité. Je dis que vous vous attacherez les peuples. Faites-en l’épreuve, elle sera sensible, et vous toucherez au doigt la vérité de cette promesse. Je dis que vous attirerez sur vous et sur votre postérité le secours de Tien. Ce point, pour être un peu plus obscur, n’est pas moins certain que l’autre. N’allez pas dire : Tien ne voit ni n’entend , les hommes sont peu clairvoyants : qu’ai-je à craindre ? Ce serait vous aveugler que de penser ainsi. Voilà, ce que j’ai cru vous devoir représenter en m’excusant d’accepter l’honneur que V. M. daigne me faire. Il y a, je l’avoue, de l’imprudence et de la témérité à

  1. Le chinois dit : ses bontés ont pénétré jusqu’à la moelle des os.