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inconstance, en avilissant vos édits, ne peut manquer de diminuer peu à peu le respect qu’on doit à l’autorité souveraine.

J’entends quelquefois raisonner sur cette inconstance ; voici à quoi on l’attribue. Le gros de vos officiers vous propose un règlement. Ils en ont auparavant bien pesé les avantages ; ils vous les exposent, V. M. l’approuve. Vient ensuite quelqu’un dont vous faites cas, et que vous aimez, qui dans une audience particulière, donne un autre tour aux choses, et conclut que ce règlement ne convient point ; V. M. le change ; Par là vos officiers zélés et éclairés voient s’évanouir le fruit de leur zèle et de leur sagesse : ils se refroidissent et se rebutent.

Second inconvénient de votre inconstance. C’est au souverain seul à départir avec équité les dignités et les emplois, suivant le mérite et les services. Depuis peu les choses sont changées. Non seulement être parent de l’impératrice, mais être eunuque du palais ou avoir des rapports à quelqu’un d’entr’eux c’est un titre pour être avancé en peu de temps. Cette voie qui s’est ouverte ces années-ci, est déjà si connue et si commune, qu’on lui a donné un nom. C’est, dit-on, la voie du dedans. Je sais que sous certains règnes de la dynastie Tang, pendant que les femmes gouvernaient, on vit arriver quelque chose de semblable. Mais je sais aussi que ces règnes ont toujours été regardés comme le mauvais temps de la dynastie ; qu’alors cette même voie fut nommée la voie oblique, et que ce ne sont point là des exemples à suivre. Si parmi les parents des reines, ou parmi les eunuques du palais, il y a des gens de vertu et de mérite, qui aient de grands talents, placez-les, à la bonne heure ; mais que ce soit comme tout autre par délibération du Conseil, où l’on reconnaisse leur mérite, et non par des voies obliques, et comme à la dérobée : ce qui est indigne de V. M. et sujet à de grands inconvénients. Si vos officiers qui voient ces inconvénients, se taisent et vous laissent faire, voilà une grande brèche faite aux lois. S’ils s’y opposent avec vigueur, c’est mettre obstacle à vos bontés, et résister à vos volontés. Abandonner la défense des lois, c’est à quoi des officiers fidèles et zélés ne peuvent jamais se résoudre : s’opposer à vos ordres et à vos bontés, c’est ce que des sujets respectueux font avec peine, de peur d’affaiblir votre autorité. Embarras des deux côtés. D’ailleurs faites, je vous prie, attention, que ce que vous exigez le plus de tous vos officiers, c’est une parfaite équité, qui ne se démente jamais pour des affections particulières, ou par des vues intéressées. Vous avez raison de l’exiger. Mais le moyen de l’obtenir, si dans la distribution des honneurs et des emplois, vous vous démentez vous-même.

Quant aux gratifications, le prince en doit faire. C’est un des moyens qu’il a d’animer ses officiers à le bien servir. Mais outre que ces gratifications doivent toujours tendre au bien commun, il y a des règles à observer. Il faut les faire à propos, et les proportionner avec discrétion. Or depuis quelques années vous les portez à l’excès. Il n’est point rare de vous voir faire sans raison d’assez grandes largesses, tantôt à une servante du dedans, tantôt à un valet de chambre, tantôt à un médecin. Le peuple en est instruit,