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conduite pendant seize ou dix-sept ans. Lettrés et peuples, laboureurs et soldats, tous s’en louèrent et il n’y eut pas jusqu’aux méchants, que j’eus le plaisir de voir heureusement changés par mes soins. Enfin, depuis treize ans que je règne[1] vous savez combien je suis éloigné du luxe et des folles dépenses. On ne m’a vu ni fouler mes peuples au-dehors par des expéditions inutiles, ou par des voyages de plaisir, ni mener au-dedans une vie molle et voluptueuse : surtout on m’a toujours vu droit et sincère, sans affectation et sans fard dans mes paroles et dans ma conduite.

Pour vous autres[2], vous êtes nés princes et dans l’abondance. Vous avez été élevés délicatement dans l’intérieur du palais ; cela me fait craindre que peu instruits des misères du peuple, et peu attentifs à distinguer le vice de la vertu, vous ne faisiez bien des fautes. J’aurais sur cela mille choses à vous exposer mais je me borne à vous recommander certains points des plus essentiels. Sachez donc que fils d’empereur, comme vous êtes, vous devez avant toutes choses travailler sérieusement à vous vaincre et à réprimer vos passions. Pour vous y aider, écoutez avec attention et prenez toujours en bonne part les avis qu’on vous donnera sur vos fautes, ou sur vos défauts. Ne vous habillez jamais sans penser avec compassion combien ont coûté de soins et de peines, les étoffes que vous portez. Rappelez-vous dans vos repas les sueurs et les fatigues du laboureur. S’agit-il de prendre une résolution, de décider une affaire, ou de juger un procès, mettez-vous dans une situation tranquille. Point de joie, point de colère. J’ai bien des affaires à examiner. Cela ne se fait point sans fatigue. M’a-t-on vu jamais témoigner de l’impatience ou de l’ennui ? Je donne bien des audiences : m’a-t-on vu dans quelques-unes, je ne dis pas, marquer du dédain, de la hauteur, ou de la fierté, mais manquer d’y traiter chacun selon son rang, avec la civilité requise ? Surtout je vous recommande d’éviter avec grand soin, un défaut bien ordinaire aux princes, qui ont de l’esprit et du mérite. Ne vous fiez point trop à vos lumières, et ne méprisez point les conseils de gens que vous croyez moins éclairés que vous. Nos anciens sages disaient fort bien : je regarde comme mon maître celui qui me contredit : il veut m’instruire et m’être utile. Pour celui qui m’applaudit et me flatte, je le crains comme un ennemi : il pense à ses intérêts et non à mes avantages. N’oubliez point ces maximes. Réduisez-les en pratique. C’est le moyen de vous maintenir, et d’avoir une heureuse fin.

  1. Il avait succédé à son frère mort sans enfants mâles.
  2. Il parle à ses quatre fils, qu’il faisait vang.