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en gardant cette méthode qu’un prince peut se promettre de n’ignorer rien de ce qu’il importe qu’il sache.

Au contraire les préventions qui sont dangereuses pour tous les hommes, le sont à plus forte raison pour un prince ; les plus ordinaires se réduisent à quatre ; savoir, prévention de confiance outrée, prévention de soupçon, prévention de mépris, et prévention de passion. Un prince s’est-il livré à quelqu’un ? Il approuve sans grand examen, tout ce que ce quelqu’un lui dit, et souvent cette approbation a de fâcheuses conséquences. Un homme au contraire est-il suspect ? Il a beau proposer de bonnes choses, et les appuyer solidement : comme ses intentions sont suspectes, on ne pèse point ses raisons. Fait-on peu cas d’un homme ? On méprise ce qu’il propose, et l’on y perd souvent beaucoup. Un prince est-il possédé d’une passion ; veut-il trop fortement une chose ? Quiconque le sert en cela, est dans l’honneur et dans les emplois, quelque indigne qu’il en puisse être. Un prince qui suit ainsi au préjudice de la raison, ses passions et ses préjugés, devient odieux aux gens de mérite et de probité ; ils ne s’attachent plus à le servir. Le moyen qu’il réussisse à bien gouverner !

Il est du devoir d’un bon sujet de chercher à se rendre utile à son prince. Son inclination et son intérêt s’accordent en cela avec son devoir. Ainsi communément il a envie d’approcher du prince, de s’en faire connaître, et de lui communiquer ses vues. Les princes de leur côté pour l’ordinaire, cherchent à bien connaître leurs gens. Il arrive cependant assez souvent, que tel, quoiqu’homme de mérite, a de la peine à trouver accès auprès du prince ; et que celui-ci n’en a guère moins à bien connaître ceux qu’il emploie. D’où cela vient-il ? De neuf défauts, dont six regardent le souverain, et trois les sujets. Vouloir l’emporter en tout genre sur tout le monde, faire parade de son esprit, contredire et disputer, n’aimer point à entendre ses vérités, avoir une fierté trop sévère, ou une humeur trop violente. Voilà les six défauts du côté du prince. Ils en produisent trois dans ses officiers ; une artificieuse flatterie, une réserve intéressée, une lâche timidité ; défauts qui éteignent le zèle dans les sujets, et sont en même temps pour le prince un grand obstacle à bien connaître son monde. Se bien connaître en gens, est une chose si difficile, que Yao même y fut embarrassé. Un prince sujet aux défauts que j’ai indiqués, ne laisse pas de se flatter quelquefois d’avoir pénétré le fort et le faible de ses officiers par une objection qu’il leur fait, et par une réponse qu’il en tire. O qu’il se trompe !

Enfin vouloir bien gouverner, et ne pas mettre son principal soin à gagner le cœur de ses sujets, c’est s’y prendre mal. Jamais sans cela aucun prince n’y a réussi. Mais pour gagner le cœur de ses sujets, comment s’y prendre ? Il faut qu’il s’étudie à prévenir et à rechercher les gens de mérite, qu’il aille comme au devant d’eux pour les attirer à son service ; je dis prévenir et rechercher les gens de mérite ; car s’il en usait de la sorte à l’égard de tout le monde indifféremment, les gens de mérite ne viendraient point. Rien donc n’est plus important pour un prince, que