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naître entr’eux mille divisions. Enfin il est difficile d’exprimer tous les maux que causa dès lors, et qu’a causé depuis en divers temps cette complaisance affectée, et cette artificieuse flatterie malheureusement substituée à cette honnête liberté, et à cette noble franchise qui régnait anciennement, et qui devrait toujours régner à la cour des princes.

Tai tsong, un de vos plus illustres ancêtres, réunit dans un haut degré la bonté et la justice, les vertus tant civiles, que militaires. Par sa sagesse et par ses exploits, il établit tellement la paix et l’ordre dans tout l’empire, qu’on a vu peu de règnes plus florissants. Cependant de quoi l’a-t’on principalement loué depuis ce temps-là ? De quoi encore aujourd’hui le loue-t-on le plus ? Vous ne l’ignorez pas ; c’est de son ardeur à se procurer des remontrances, et de sa manière de les recevoir. Cela seul ne suffit-il pas pour faire comprendre à V. M. qu’il n’y a en effet rien de plus glorieux pour un souverain, et que rien n’est plus capable d’éterniser sa mémoire.

V. M. dit que ses officiers tournent tellement les choses, que ce qu’il y a de bien, ils ont soin de se l’attribuer, et ce qu’il peut y avoir de mal, ils le font tomber sur le prince. C’est une faute en eux, je l’avoue : mais cette faute après tout, au lieu d’obscurcir votre vertu, peut servir, si vous le voulez, à en relever l’éclat. Admettre des remontrances ainsi conçues, n’en point témoigner de chagrin, les laisser courir à l’ordinaire, est un trait digne de vous, et qui ne peut que vous faire honneur. Au reste que gagneriez-vous à prendre le parti contraire ? En rejetant ces remontrances, les empêcheriez-vous de courir ? Pour moi, je crois au contraire, que cela ne contribuerait pas peu à les faire mieux connaître. Vous éviteriez à la vérité par là d’en voir venir de semblables, mais vous vous exposeriez en même temps à n’en plus recevoir d’utiles. Faut-il pour si peu de chose fermer la porte aux avis ?

Le vrai sage est attentif à ne se point relâcher, pas même dans les moindres choses : il ménage tout le monde, et ne chagrine personne. Le discours le mieux tourné ne fait point d’impression sur lui, si le fond n’en est appuyé sur la raison, ou sur l’expérience. Quand l’une et l’autre autorisent les propositions qu’on lui fait, il ne se rebute point du mauvais tour, et des expressions peu choisies. Trouve-t-il quelqu’un qui donne dans ses vues ? Il ne conclut pas pour cela qu’il ait raison. Un autre y est-il contraire ? Il ne conclut pas qu’il ait tort. Il ne se laisse point éblouir par l’extraordinaire et le singulier pour l’embrasser, ni tellement prévenir contre ce qui paraît vulgaire et commun, que précisément pour cela il le rejette. Un homme lui fait en termes grossiers et même durs, un discours qui lui paraît vague, et dont on ne voit point assez le but : il n’ose encore prononcer que c’est un impertinent ; un autre en termes obligeants lui fait des propositions qui lui semblent nettes, et dont l’avantage lui paraît considérable et certain : il ne se presse pas pour cela d’assurer qu’il est habile homme, et qu’il faut suivre ce qu’il propose. Il examine tout à loisir ; il pèse tout mûrement ; après quoi il prend de chacun ce qu’il y a de bon à prendre. C’est