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Pas une année qu’on ait pu dire abondante. Les laboureurs abandonnent les campagnes ; les pères vendent leurs enfants ; les chemins sont pleins de pauvres que la nécessité a fait quitter leur pays et leurs parents. Qu’ils en viennent jusqu’à oublier ainsi les sentiments les plus naturels, c’est bien moins leur faute que la mienne. Je n’ai eu ni assez d’habileté pour prévenir leurs besoins, ni assez de vertu pour leur inspirer le courage et la patience que ces extrémités demandent, j’en ai une vraie douleur et une extrême confusion. Jour et nuit je ne pense à autre chose. En attendant que je puisse soulager mes peuples, comme le territoire qui dépend de cette cour est celui qui a le plus souffert, je le tiens quitte pour un an de toute corvée et de tous droits. Et j’ordonne que partout mes officiers pourvoient par quelque moyen à l’entretien et au soulagement des pauvres.

A l’occasion de la révolte de certain Tchu tché, l’empereur Te tsong fit un voyage dans le Leao tong. L’armée des rebelles fut défaite ; les chefs ayant été pris, et l’empereur pensant à publier une amnistie, les devins dirent que la maison royale était encore menacée de nouveaux malheurs, qu’il fallait, pour les détourner, changer quelque chose dans les noms et les titres présents. Les Grands proposèrent donc à l’empereur d’ajouter un mot ou deux à son surnom. Le seul Lou tché s’y opposa.

Prince, dit-il, parlant à l’empereur, tous ces surnoms et ces titres pompeux ne sont point de l’ancien usage. Les prendre dans les temps du monde les plus florissants et les plus heureux, c’est manquer de modestie. Les augmenter dans des conjonctures aussi tristes que celles-ci, ce serait un grand contre-temps, et qui pourrait beaucoup nuire. Si vous vouliez absolument avoir égard à ce que prétendent ces devins, savoir qu’il faut faire quelque changement dans les titres et surnoms présents, au lieu d’augmenter les vôtres, ce qui ne peut que vous rendre odieux, il vaudrait mieux, en les diminuant, témoigner votre respect pour les avis que Tien vous donne.

L’empereur reçut très bien ce que lui dit Lou tché. Il se détermina à ne changer que le nom des années. Il fit alors voir à Lou tché une déclaration minutée par le secrétaire d’État, et lui en demanda son sentiment.

Prince, répondit Lou tché, ce sont proprement les actions du souverain, qui touchent efficacement les cœurs. Les discours le font assez légèrement pour l’ordinaire, et s’ils ne sont pas bien pathétiques, ils n’ont pas le moindre effet. En publiant une déclaration dans ces circonstances, il me semble que vous ne sauriez y paraître trop modeste, exagérer trop vos fautes, et en témoigner trop de repentir.

L’empereur entra dans ces vues, et chargea Lou tché d’en dresser une. Il dressa celle qui suit.