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et ne le pas remettre au prince ? Il y va de votre repos : et si vous êtes plus sensible à autre chose, il y va aussi de votre honneur. On vous en louera maintenant ; et il ne tiendra qu’à vous que par l’histoire et par les chansons la postérité en soit instruite. Je vous y exhorte donc comme à une chose très importante au repos de tout l’empire. Je ne crois pas devoir épargner une courte vie, et manquer à ma patrie par un silence criminel. Je prie donc V. M. de dérober quelque temps à ses grandes occupations, pour examiner à loisir mes faibles vues. Si V. M. me fait la justice de me regarder comme un sujet sincère et fidèle, je la conjure d’exécuter sans délai ce que je propose. Que si elle attribue ma remontrance à quelque autre chose qu’à mon zèle, et qu’elle s’en offense, il lui est libre de m’en punir, et d’apprendre aux dépens de ma tête à tous ses sujets, qu’elle ne peut souffrir la vérité.


Pour mieux entendre cette pièce, il faut savoir ce qui suit.

Vou heou était originairement une fille d’assez basse condition : on dit même, qu’elle était esclave. Kio tsong prit pour elle tant de passion, qu’il la fit impératrice. Cet empereur en mourant laissait un successeur nommé, lequel avait déjà quelque âge. Cependant il déclara en mourant qu’il voulait que l’impératrice gouvernât avec son fils. Celui-ci étant marié, s’entêta fort de son beau-père. Il l’éleva et l’enrichit à un point, que tous les Grands lui firent sur cela d’assez fortes remontrances. Ce prince les reçut très mal, et ne changea pas de conduite. Les Grands s’adressèrent à l’impératrice. Elle, profitant de cette occasion pour régner seule, déclara ce fils déchu de la succession, et le relégua loin de la cour. Cela ne plut pas à bien des gens : mais les Grands avaient été choqués par le prince : ils avaient mis eux-mêmes en train l’impératrice, qui d’ailleurs était une princesse très redoutée. Ainsi l’exil et la chute du prince durèrent plusieurs années, et l’impératrice gouverna seule.

Sou ngan heng prenant son temps, et profitant d’une occasion favorable, proposa à l’impératrice de rappeler et de rétablir le prince héritier dans ses droits. L’impératrice y consentit, le prince revint en cour, et fut déclaré successeur comme auparavant, mais ce fut tout. L’impératrice retint seule l’autorité toute entière. Comme le prince était dans un âge mûr, et paraissait s’être corrigé de ses défauts, chacun murmurait de ce que l’impératrice ne lui remettait pas le gouvernement, qui lui appartenait de droit. Mais il n’y avait personne assez hardi pour en parler à cette princesse. Outre qu’on craignait son ressentiment, elle était obsédée par certains flatteurs ses favoris, et il n’était pas aisé de faire passer jusqu’à elle ce qu’on avait à lui proposer. Sou ngan heng plus courageux que les autres, et animé par le succès qu’il avait eu la première fois, trouva moyen d’insérer dans une boîte que l’impératrice seule devait ouvrir, la remontrance qu’on vient de voir.

L’impératrice dissimula, mais laissa toujours les choses sur le pied où elles étaient. Enfin elle tomba malade. Les Grands saisirent cette occasion pour proposer au prince de monter sur le trône de son père, et de gouverner