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donner la moindre atteinte aux lois. Car enfin, les lois sont par rapport au jugement, ce qu’est la balance en matière de poids, ce qu’est la corde et le niveau pour juger des plans. Faire donc dépendre les jugements de l’affection ou de la haine, de l’humeur, du caprice, ou des vues particulières de qui que ce soit ; c’est vouloir juger des poids sans balance, et des plans sans corde ou niveau. N’est-ce pas se vouloir tromper ?

Tchu ko leang[1] était en son temps l’équité même. Il déclarait hautement que son cœur était une balance, que ni l’autorité, ni l’affection, ni l’intérêt, ne pouvaient faire pencher d’aucun côté. Il le disait, et il disait vrai. Qu’était donc ce Tchu ko leang ? Il était ministre d’État d’un assez petit royaume. Quelle comparaison de lui à notre empereur ! Comment donc le puissant maître d’un si grand et si florissant empire, ne rougit-il point de se charger des malédictions de ses sujets, en substituant aux lois établies, ses vues et même ses inclinations particulières ?

Voici encore un autre point. Il arrive de temps en temps, que voulant vous contenter sur certaines choses, quelquefois même peu importantes, vous ne voulez cependant pas qu’on y prenne garde, encore moins qu’on s’en entretienne. Alors on vous voit tout à coup vous mettre en colère, ou plutôt en faire semblant, pour épouvanter les gens, et empêcher qu’ils ne parlent. Si ce que vous faites est raisonnable, quel mal y a-t-il qu’on le sache ? Et quand il ne le serait pas, que sert-il de le vouloir cacher ? Un ancien proverbe dit bien : ce qu’on ne veut pas qui soit su, le plus sûr est de ne le point faire. Quand on craint d’être entendu, le meilleur parti est de se taire. Prétendre que ce qu’on dit et ce qu’on fait, soit ignoré de tout le monde, et que personne n’en parle, c’est une prétention[2] vaine : la peine qu’on y prend, est fort inutile ; et l’on n’y gagne rien autre chose, que de faire rire à ses dépens.

Yao avait mis à sa porte un tambour, et quiconque avait quelque avis à donner pour le bien commun, n’avait qu’à battre ce tambour. Le prince aussitôt l’écoutait. Chun avait dressé une planche, où chacun pouvait écrire ce qu’il trouvait à redire dans le gouvernement.

Tang avait près de sa personne un officier chargé de marquer par écrit ses fautes. Vou vang avait fait graver sur les meubles à son usage, les principaux avis du sage Tai kong. C’est ainsi que ces sages princes, dans leur plus grande prospérité, veillaient et faisaient veiller sur eux-mêmes. Toujours égaux et sans préjugés, ils inspiraient à chacun de leurs officiers autant de confiance que de zèle ; et la vertu mettait entr’eux une union aussi charmante qu’utile.

Un prince vraiment vertueux, disait Vou ti, se fait un plaisir de s’entendre dire des choses naturellement désagréables. En effet, aimer les officiers

  1. Fameux ministre et officier de guerre du temps que l’empire était partagé entre trois princes, qui se le disputaient.
  2. Le chinois dit : C’est vouloir prendre des oiseaux d’une main, en se fermant les yeux de l’autre.