Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/668

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quand il s’agit de juger un homme, surtout un ancien officier de quelque considération, un bon prince doit se souvenir que cet homme, tout accusé qu’il est, ne laisse pas d’être son sujet, et qu’il doit toujours conserver pour lui une tendresse de père. Le cœur étant ainsi disposé, il doit, comme tenant la balance en main, examiner sans prévention la faute dont on l’accuse, en éclaircir et peser les preuves ; après cela, pour peu qu’il hésite, s’en rapporter au jugement du gros de ses officiers ; et si le cas leur paraît douteux, prendre le parti le plus favorable. Ceux qui sont commis par le prince, doivent aussi entrer dans ces sentiments, et suivre cette méthode, comme celle qui de tout temps a été la plus approuvée. Chun en faisant Haeou yu son lieutenant criminel, lui recommanda expressément d’être modéré et compatissant.

Sous la dynastie Tcheou on ne prononçait sur les accusations de quelque importance, qu’après avoir pris le sentiment des trois ordres[1]. Quand la sentence était approuvée du plus grand nombre, alors on la prononçait en dernier ressort. C’est ce qu’on appelait accommoder les lois avec les sentiments des hommes. Cette expression subsiste encore ; mais hélas ! que l’on en a perverti le sens ! Faire entrer dans les jugements qu’on porte, les présents, les alliances, les amitiés, les inimitiés, les vengeances, c’est ce qu’on appelle aujourd’hui accommoder les lois avec les sentiments des hommes. Les officiers supérieurs soupçonnent en ce genre leurs subalternes. Le moyen qu’au milieu de ces soupçons et de ces défiances règne un vrai zèle et un attachement sincère ! « Anciennement, dit Confucius, dans les jugements criminels, on cherchait, autant que les lois le pouvaient permettre, à sauver la vie aux accusés. » Aujourd’hui on cherche de quoi les condamner à mort. Pour cela on fait violence au texte du Code. On a toujours en main quelque ancien arrêt, pour autoriser l’interprétation qu’on donne. Enfin on cherche à tort et à travers de quoi aggraver les fautes.

Hoai nan tze dit : une eau eût-elle dix gin de profondeur, on distingue par sa surface si le fond est or ou fer[2]. Si l’eau n’est pas en même temps profonde et pure, elle n’aura pas grand poisson. Pour moi, quand je vois un prince tenir pour un juge intelligent, celui qui sait chicaner sur des minuties ; estimer fidèle et zélé quiconque traite en mal ses subalternes ; compter pour de grands services de fréquentes délations[3]; je le compare à un homme, qui, pour agrandir une peau, la tire et l’étend jusqu’à la rompre, Un prince doit à mon avis en user tout autrement. Il convient au rang qu’il tient, d’étendre toujours les faveurs, de récompenser libéralement, et de punir avec réserve, sans cependant

  1. 1° De tous les grands officiers. 2° De tous les officiers subalternes. 3° Du peuple.
  2. Par cette comparaison, on indique à Tai tsong qu’il a beau dissimuler, on le perce à jour.
  3. On indique à Tai tsong que sa conduite n’est pas nette, et que malgré la profondeur de son génie, ou malgré sa profonde dissimulation, il ne s’attirera pas les gens de mérite.