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n’en a point encore eu, et il faut espérer qu’il n’en aura point sous votre règne ; les vues de Votre Majesté s’étendront sans doute sur l’avenir. Elle profitera sagement des fautes qu’elle a pu commettre en ce genre. Elle saura les réparer avec avantage : mais que n’en devrait-on point craindre sous quelque règne plus faible, et sous un prince moins disposé à se reconnaître et à se corriger promptement. Vous ne le sauriez faire trop tôt ; craignez de transmettre à vos descendants, avec tant de beaux exemples, le défaut que je vous expose. Que votre promptitude à vous en défaire, leur apprenne à l’éviter.

Ce que je viens de vous dire, mon prince, ne regarde, à proprement parler que le choix de vos officiers. Voici un avis plus général, et par là plus important pour bien gouverner. C’est de consulter souvent le beau miroir[1] de l’antiquité. En se mirant dans une eau claire et tranquille, on voit son visage tel qu’il est. Un prince en rapprochant sa conduite de celle des anciens sages, peut en juger sainement. Éclairé par là sur ce qui lui manque, sur les fautes qui lui échappent, et sur ses principaux devoirs, il laisse bien peu à faire aux officiers, dont l’emploi est de remarquer ses fautes, et de lui donner des avis. Il croît comme de lui-même en sagesse et en vertu. Son gouvernement devient de jour en jour plus parfait, et sa réputation croît à proportion. Quoi de plus digne par conséquent de l’application d’un prince ?

Au reste le premier et le principal soin de nos plus grands princes Hoang ti, Yao, Chun, et Yu, fut de faire régner la vertu, et d’en inspirer l’amour à tous leurs sujets. En vain un prince se promettrait-il, à la faveur d’un code épais de trois pieds, d’en venir à gouverner, comme ils faisaient, sans mouvement et sans travail[2]. Dans cette heureuse antiquité, ce n’était point la sévérité des lois, ni la rigueur des châtiments, qui réglait ou réformait les mœurs des peuples. C’était la vertu de ces sages princes. Attentifs à ne se permettre rien qui ne fût dans l’ordre, et à exercer sur eux-mêmes la plus rigoureuse justice, ils traitaient avec bonté leurs sujets. Par là leur gouvernement, sans avoir rien de rigoureux ou de dur, était cependant très efficace. En effet la bonté et la justice sont les grands ressorts du gouvernement. Ce sont ces ressorts qui dans un État doivent donner le mouvement à tout ; et si l’on s’aide des châtiments, c’est comme un habile cocher s’aide du fouet par intervalle : l’usage en doit être rare.

Le capital pour un prince est donc d’être vertueux lui-même, et d’inspirer à ses sujets la vertu. Les hommes ont tous intérieurement la raison et les passions. C’est de là que procèdent à l’extérieur leurs actions bonnes ou mauvaises. Par conséquent, pour couper pied à tous leurs désordres, il n’y a qu’à régler leur cœur. C’est à quoi ont toujours donné leurs soins les sages du premier ordre : Juger bien les procès, c’est quelque chose, disait

  1. Ce fut peut-être ce discours qui porta Tai tsong à composer le discours qu’il intitula le Miroir d’or, & qu’on a vu traduit ci-dessus.
  2. Le chinois dit, les mains croisées et sans action.