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Cela ne s’est pas fait sans dépense ; et c’est avoir fait trop peu de cas de ce qu’on appelle louable épargne. Je me suis procuré des chiens, des chevaux, des oiseaux de chasse, même des pays les plus éloignés. C’est une vaine recherche qui fait brèche au désintéressement et à la parfaite tempérance. Enfin, j’ai fait quelques voyages de plaisir, dont bien des gens ont souffert ; c’est savoir peu se vaincre soi-même, et faire aux autres peu d’attention. Ne vous autorisez pas de mon exemple. Je regarde tout cela comme des fautes, qui pouvaient avoir de fâcheuses suites : elles n’en ont pas eu. Pourquoi ? parce que d’une autre part, on m’avait vu rétablir la paix et le repos dans tout l’empire. Si j’ai fait tort à quelques-uns de mes sujets, je les ai bien plus souvent secouru dans leurs besoins, et communément je les ai pourvu avec abondance. Les avantages qu’ils ont tirés de mes victoires, mes soins paternels, mes bontés, leur ont fait oublier mes fautes, ou les souffrir sans murmure. Ils me louent même, et m’applaudissent. Mais quoiqu’on dise de mon règne, j’y reconnais bien des défauts, auxquels je ne puis penser sans honte et sans repentir. Si vous les imitiez ces défauts, que n’en auriez-vous point à craindre ? Vous, dis-je, à qui l’empire ne doit encore rien, et qui ne devez le trône qu’au bonheur de votre naissance.

Mais si prenant des inclinations conformes à votre rang, vous pratiquez et faites fleurir la vertu ; si vous n’entreprenez rien qu’elle n’autorise ; votre vie sera tranquille, et votre règne glorieux. Au contraire, si vous vous abandonnez au caprice et à la passion, vous périrez, et vous perdrez l’État. Il faut du temps pour établir les empires ; mais il en faut peu pour les détruire. Il n’est pas facile d’obtenir par son mérite l’honneur du trône ; mais rien de plus aisé que de le perdre. Un souverain peut-il donc avoir trop d’attention et de vigilance ?

Sur cette préface, un auteur nommé Hou san seng, dit : Tai tsong reconnaît ici ses fautes, et les confesse. Rien de plus louable. Mais il paraît qu’il écrivait tout ceci principalement pour son fils. Or le grand défaut du jeune prince était la passion pour les femmes. Tai tsong cependant n’en dit pas un mot. Rien de plus vrai que ce qu’on dit, que les pères ne connaissent point les défauts de leurs enfants.

Un autre auteur nommé Ting fong, raisonnant autrement sur le même sujet, dit : suivant les maximes de nos anciens, rien de plus recommandé aux princes, que de ne point s’attacher aux femmes. Tai tsong, qui dans cette Règle des souverains instruit si exactement son fils sur tout le reste, n’y touche pas même ce point essentiel. Serait-ce que se sentant sur cela du faible, il craignît en le touchant de faire parler ? Ce qu’il y a de certain, c’est que Kao tsong son successeur eut une passion aveugle pour une femme pendant qu’il vécut, qu’il lui remit en mourant le gouvernement de l’empire, et que par là il pensa tout renverser. Le silence de Tai tsong sur un article si important, paraît confirmer ce qui ne se vérifie que trop d’ailleurs, que communément les princes ont certains défauts favoris, auxquels ils n’aiment pas qu’on touche. Souvent les États s’en ressentent.