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Kien yuen ti autre empereur de la même dynastie, entreprit de réduire Ou[1], nomma Kiao yang kou général de ses troupes, et l’honora de divers titres, entr’autres de celui de Kai fou. Celui-ci pour s’excuser présenta le discours qui suit.


Votre Majesté par un nouvel excès de bonté, veut me donner le commandement de ses armées, et m’honorer en même temps du titre de Kai fou, etc. J’ai lu cet ordre avec respect, et avec reconnaissance. Mais, prince, depuis dix ans que j’ai commencé à vous servir, je n’ai déjà eu que trop d’emplois honorables et importants. Je sais le peu que je vaux, et combien je méritais peu les emplois dont V. M. m’a honoré. Je mérite encore bien moins ceux dont elle m’honore aujourd’hui. Je sais aussi quelle faute c’est d’abuser trop longtemps de la faveur de son prince. Ces pensées m’occupent jour et nuit, m’inspirent une juste crainte, et tournent en sujet de tristesse pour moi les honneurs dont Elle me comble. Une sentence des anciens dit : Recevoir les plus grands honneurs, et toucher les plus gros appointements sans avoir un mérite bien reconnu, et sans avoir rendu des services importants, c’est fermer le chemin des grands emplois à ceux qui en sont capables, et frustrer ceux qui ont rendu de grands services, des récompenses qui leur sont dues. A la faveur d’une alliance j’ai déjà été assez élevé, et peut-être trop. V. M. y doit prendre garde. Je vois cependant que par l’effet de ses bontés, elle me destine à de nouveaux emplois, et à de nouveaux titres encore plus éclatants. Comme je ne les ai point mérités par mes services, je n’ose les accepter. Ce serait déshonorer un si haut rang, et exposer en même temps à une chute funeste. Je pense depuis du temps à me retirer, pour garder le tombeau de feu mon père. Le moyen de le faire avec ces emplois ? Je crains de vous déplaire, en refusant vos bienfaits ; mais d’autre part il me paraît que je ferais mal de les accepter. C’est une maxime de l’antiquité, qu’on doit savoir se borner, et surtout qu’un grand officier doit être attentif à s’arrêter où il faut. Cette maxime me paraît si essentielle, que malgré mon peu de vertu, j’ai fort à cœur de la suivre. Depuis huit ans V. M. n’omet rien de son côté, pour attirer à sa cour les gens de mérite, et pour n’en point laisser sans emploi. Mais je ne vois pas qu’on ait répondu à vos bonnes intentions. Il y a bien de l’apparence que plusieurs gens de mérite vivent dans l’obscurité et dans l’oubli ; que d’autres ne sont point

  1. Nom d’un royaume qui faisait partie de l’empire, mais qui s’était soustrait à la dynastie Tsin.