Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/615

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rien proposer de considérable ; mais j’avoue que je ne goûte point cette maxime. La crainte des supplices, et l’espérance d’une plus haute fortune ne sont point ce qui me touche. En me taisant, conformément au rang peu élevé que je tiens, je puis passer tranquillement mes jours, il est vrai : mais aussi après ma mort, mon nom sera plus tôt oublié que mon corps ne sera pourri. Or il n’y a point de repos, ni même de fortune, que je veuille acheter à ce prix : mon ambition ne se borne point à cette vie. Je cherche à mériter qu’après ma mort on grave mon nom sur des monuments de pierre, et qu’on me voie gravement assis dans une salle élevée, devant laquelle soit une belle cour. J’aurais un vrai regret d’avoir passé ma vie sans être[1] utile à ma patrie, et d’avoir mérité par là d’être aussitôt oublié après ma mort.

Voilà ce qui m’occupe jour et nuit ; et c’est aussi ce qui m’engage à vous présenter ce placet. On dit communément, et il est vrai, que conserver les autres, c’est le moyen de se maintenir soi-même ; et que c’est se fermer à soi-même le chemin, que de le fermer aux autres ; selon que chacun fait le bien ou le mal, il en reçoit la récompense ou la peine. Chi hoang éteignit les Tcheou, et envahit les six royaumes. Sous lui la vertu fut sans honneur et sans récompense. Sous lui cessèrent les cérémonies en l’honneur des chefs de nos trois fameuses dynasties. Enfin il fit ce qu’il put pour éteindre la vraie[2] doctrine. Aussi mourut-il dans l’alarme et dans le trouble, son fils fut tué, et avec lui sa postérité fut éteinte : punitions qui répondent parfaitement à sa conduite à l’égard d’autrui.

Vou vang tint une autre conduite. Avant que d’être descendu du char qui lui servit à remporter la victoire, il donna ses ordres pour conserver les descendants de nos cinq Ti. Il fit prince de Ki un des Hia[3], et prince de Song un des Yng, afin qu’ils fussent en état de continuer les cérémonies à l’égard des chefs de ces familles, et pour montrer en même temps qu’il ne prétendait pas tellement posséder l’empire, qu’il n’en fît bonne part à d’autres. Aussi sa famille en récompense se multiplia si fort, que le nombre de ceux qui apportaient les tablettes de leurs pères dans la salle des ancêtres, formait comme le cours d’un beau fleuve. Aujourd’hui la famille royale des Yng n’a point d’héritiers directs qui soient en place. Tching tang, qui en fut le chef, n’a personne qui continue en son honneur les cérémonies ordinaires. Ne serait-ce point pour cela que vous n’avez point encore d’héritier ?

Suivant l’interprétation que Kou leang donne à un endroit du Tchun tsiou, Confucius et sa famille descendent des Yng. Votre Majesté ferait fort bien de les honorer du titre de successeurs en chef de cette famille royale, pour en

  1. Une glose dit : c’est rendre un vrai service à l’État, que de procurer des honneurs aux grands hommes du temps passé.
  2. Le chinois dit : Tien hio, la doctrine du Tien ou la doctrine céleste.
  3. Les Hia régnaient avant les Chang ou Yng ; les Chang avant les Tcheou, dont You wang fut le premier empereur. C’est ce qu’on appelle les trois dynasties.