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de nos anciens, se trouvent aussi être ceux qui s’en sont le plus éloignés ; que ceux qui se sont piqués de magnificence en ce point, sont gens qui n’ont eu nulle réputation de sagesse et de vertu ; que les moins éclairés et les moins vertueux sont ceux qui ont porté le plus loin le faste et la magnificence ; que les tombeaux et les miao les plus somptueux et les plus riches sont bientôt pillés et détruits. Peut-on délibérer après tout cela sur le parti qui est à prendre ?

Il fut un temps que les Tcheou commençant à dégénérer, donnaient dans le faste et les dépenses. Le reste du gouvernement s’en sentait. Ven vang, prince éclairé, leur succéda : il aperçut la cause du mal : il y apporta remède : il fit revivre l’honnête épargne ; il en donna le premier l’exemple. Cet exemple eut tant d’effet, qu’il remit le gouvernement sur un bon pied : son règne fut florissant, et il eut une nombreuse postérité, et c’est lui dont notre Chi king, dans l’ode Se kan célèbre la mémoire. Au contraire Nien kong roi de Lou, se piqua d’élever de belles terrasses, d’enfermer de vastes parcs, et d’orner magnifiquement les salles de ses ancêtres. Il mourut sans postérité, et le Tchun tsiou[1] ne l’épargna pas. Qu’on préfère après cela le faste à l’économie. V. M. en montant sur le trône, témoigna faire cas de celle-ci ; elle en donna plus d’une preuve. On admira surtout sa modération dans les accommodements qu’elle se proposa de faire à l’ancienne sépulture de sa maison. Elle a bien changé de méthode dans la nouvelle sépulture qu’elle a entreprise à Tchang lin. Que de terrasses élevées ! ou plutôt que de montagnes faites à la main ! Pour cela combien de cercueils particuliers remués ? On les peut compter par ouan. Combien d’argent faut-il dépenser ! Les frais passent déjà cent ouan. Les morts vous en haïssent, les vivants souffrent et murmurent. La vapeur de ces gémissements et de ces imprécations trouble les saisons et cause la stérilité.

Je suis un homme sans lumières, mais enfin voici comme je raisonne. Si les morts ont connaissance de ce qui se passe ici, certainement en bouleversant tant de cercueils, vous vous êtes fait bien des ennemis parmi eux. Que si ce qui se passe parmi nous est entièrement ignoré des morts, à quoi bon tant dépenses pour la sépulture d’un homme ? C’est donc uniquement pour attirer les yeux des vivants. Or ce qu’il y a de gens sages et vertueux, bien loin de les approuver ces dépenses, ne les voient qu’avec regret. Le peuple qui en est vexé, ne goûte point qu’on lui donne à si grands frais des leçons de piété filiale. Reste donc quelques gens dépourvus de sagesse et de vertu, qui donnant eux-mêmes dans le faste selon leur portée, pourront applaudir à cette entreprise. Leur approbation a-t-elle de quoi vous flatter ? Vous êtes né, prince, avec un naturel plein de bonté, de sincérité, de droiture, et avec un esprit supérieur : jamais prince ne fut plus capable d’illustrer sa dynastie, et de suivre de près nos anciens sages, nos anciens empereurs, et même les plus sages d’entre eux. Que vous imitiez au

  1. Nom d'un ancien livre chinois.