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déjà si misérables que le père et le fils sont réduits à partager ensemble un méchant habit. Je ne sais combien de gens vivent de graines d’herbes sauvages. Que sera-ce, s’il faut encore y faire passer de nombreuses troupes ? Quand elles seraient victorieuses, la guerre, malgré la victoire, serait beaucoup plus pernicieuse qu’elle ne serait utile. Les guerres, dit-on[1], sont suivies d’années mauvaises et stériles. Cela vient, à ce qu’on prétend, de l’intempérie que causent dans les saisons les gémissements et les malédictions des peuples, que les malheurs des guerres accablent. Or si la famine succède à la guerre, en supposant même une conquête assez inutile faite au dehors, n’y aura-t-il point de trouble au dedans ? Pour moi, je le crois d’autant plus à craindre, que le choix de ceux qui gouvernent dans vos provinces, et même de ceux qui tiennent à votre cour un assez haut rang, se fait fort mal ; que la corruption et le désordre augmentent par là tous les jours ; qu’il n’est plus rare qu’un fils tue son père, un cadet son aîné, une femme son mari ; et que l’on compte cette année jusqu’à deux cent vingt-deux crimes de cette espèce.

Quand il n’y aurait point d’autres troubles, et d’autres désordres à craindre, celui-ci peut-il passer pour léger ? Cependant vos officiers, sans s’en inquiéter, vous pressent de mettre en campagne une armée pour un si petit sujet, contre des barbares étrangers. Ce n’est pas là ce qui presse. Confucius apprenant que certain Ki prêt de mourir, témoignait craindre que sa famille n’eût à souffrir de la mauvaise volonté d’un certain Tchuen yu. Que ne craint-il plutôt, dit-il, pour sa famille les désordres qu’il y laisse ? J’en dirais volontiers autant à ceux qui conseillent aujourd’hui la guerre. Je ne suis point de cet avis ; et je vous conjure, au moins avant que de prendre sur cela votre parti, d’en délibérer mûrement avec les heou de Ping tchang, de Ping nguen, de Lo tchang et avec d’autres gens de leur caractère. S’ils penchent pour la guerre, à la bonne heure, qu’on la fasse.

  1. Une glose dit que c’est un mot de Lao tse, qui vivait du temps de Confucius, et dont la secte nommée Tao a fait son chef.