Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/594

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après avoir exposé vivement les malheurs qui suivirent les ambitieuses expéditions de Chi hoang, il en fait l’application, et dit :

Je n’entends aujourd’hui parler que d’expéditions militaires. Ici on bâtit des forteresses ; là on attaque les barbares : tel peuple, dit-on, est soumis, ou va en soumettre un autre. La terreur est chez les Hiong nou ; nous leur avons brûlé Long tsing[1]. Tout votre Conseil applaudit à ces desseins. Pour moi je vois bien que certains de vos officiers et de vos ministres y peuvent trouver leur compte ; mais est-ce le bien de votre Empire ? Je soutiens que non. Pouvant jouir d’une paix profonde, vous engager sans raison dans des guerres étrangères, pour des conquêtes inutiles, épuiser votre propre État, ce n’est pas être père des peuples. Par une ambition démesurée, ou précisément pour vous contenter, aller irriter les Hiong nou qui vous laissent en paix, c’est mal pourvoir pour l’avenir au repos de nos frontières. Ces expéditions, qu’on peut regarder, malgré leur succès, comme un véritable malheur, causeront une longue suite de disgrâces. Le ressentiment des barbares durera. Que n’en souffriront point ceux de vos sujets qui en sont voisins ? Que d’alarmes pour les autres ? Ce n’est pas là le moyen de faire durer longtemps la dynastie Han.

On voit de tous côtés forger des cuirasses, fourbir des épées, dresser des flèches, essayer des arcs. On ne voit dans les chemins que troupes qui marchent, ou que chariots chargés de vivres ; mais on le voit avec douleur. Ce sentiment, quoi qu’on vous dise, est le sentiment de tous vos sujets, à peu de gens près. Ce sentiment me paraît d’autant mieux fondé, que les plus fâcheuses révolutions sont communément les fruits de la guerre. Y voit-on le prince embarrassé ? Les mauvais desseins commencent à éclore. Tel au milieu de votre empire a sous lui jusqu’à dix villes, et près de cent lieues de pays : votre maison n’en est pas plus en sûreté ; prenez-y garde. Chi hoang s’occupait tout entier de ses ambitieux projets. Un homme de néant avec des troupes, qui n’étaient presque armées que de bâtons, donna le signal contre lui, et avança sa perte. Aujourd’hui les armes ne manquent pas à des gens, dont le crédit et le pouvoir est bien plus redoutable. Pensez-y, prince, les plus grandes révolutions dépendent souvent de peu de chose.

  1. C’était, dit une glose, le lieu où ces peuples faisaient leur tsi à Tien.