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à peu près l’état ou vous êtes actuellement : mais il ne tient qu’à vous d’en sortir. L’entreprise où vous vous engagez, est infiniment difficile[1] et dangereuse. Renoncez-y ; et en un tour de main, vous vous assurez une prospérité[2] constante. Pouvoir sans peine couler le reste de vos jours dans la paix, dans la joie, et dans la possession d’un État puissant, et cependant vouloir à toutes forces vous engager dans une entreprise également pénible et scabreuse, c’est, permettez-moi de le dire, ce que je ne puis comprendre.

Il y a des gens que leur ombre inquiète : pour en éviter la vue, ils se tournent et retournent inutilement. Qu’ils se tiennent en repos et en lieu couvert, l’ombre disparaîtra ; ils seront tranquilles. Le meilleur secret, quand on craint d’être ouï, c’est de se taire. Celui qui craint que ce qu’il médite ne soit su, ferait bien de renoncer à ce qu’il médite. Une eau bouillante est sur un grand feu ; souffler sur cette eau pour la refroidir, ou pour en apaiser les bouillons, c’est souffler assez inutilement : il vaut bien mieux écarter le bois. En user autrement, c’est perdre[3] sa peine. Le bonheur des États et des princes a ses fondements : il faut les bien établir. Leurs malheurs ont aussi leurs principes. Le sage prévient leur naissance. Pour y réussir, il faut prendre garde aux plus petits commencements. Car ce qui ne paraissait d’abord que peu de chose, devient peu à peu sensible et considérable. Cette eau qui dégoutte du mont Tai, se fait à la longue au travers des pierres, un passage qu’on dirait être fait au ciseau. Une corde passée et repassée fréquemment sur une planche au même endroit, en fait à la longue deux pièces, comme l’aurait fait en moins de temps une scie. Enfin cet arbre de dix pieds de tour, est venu d’un fort petit plan : quand il était tendre et jeune, il était flexible en tout sens, on pouvait l’arracher sans peine. Aujourd’hui quelle différence ! Il en est de même du mal.[4] Pensez-y, je vous en conjure ; mais pensez-y sérieusement. Ne commencez point de vous éloigner des saines maximes de nos anciens princes. Gardez-vous de les changer ces maximes ; on ne le fait guère impunément.


Sur cette pièce, l’empereur Cang hi dit : quand cette remontrance fut présentée, le dessein du vang n’avait pas encore éclaté : il n’était connu que de peu de gens. C’est pour cela que Mei tching, dans tout son discours, n’use que d’exhortations qui paraissent trop générales, et que même quelquefois il parle en mots couverts. Mais le vang l’entendait assez.

  1. Le chinois dit : Il y a autant de danger, qu’en court un œuf d’être écrasé par un gros poids, et autant de difficulté qu’à escalader le Ciel.
  2. Le chinois dit : Ferme comme le mont Tai.
  3. Le chinois dit : c’est courir armé de fagots, pour apaiser un incendie.
  4. Une glose dit : Le vang n’eut point d’égard à la remontrance de Mei tchin : il fit la guerre, et y périt.