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Sous l’empire de ce même King ti, le roi de Ou résolut d’attaquer le roi de Leang. Comme il n’avait pour cela aucune raison légitime, et que l’entreprise était injuste, Mei tching s’efforça de l’en dissuader, et lui adressa pour cela le discours qui suit.


Prince, on le dit, et il est vrai ; un prince est-il parfait ? Tout lui réussit. Se dément-il par quelque endroit ? Une seule faute peut aboutir, et aboutit souvent à sa perte entière. Chun n’avait pas un pouce de terre[1] ; cependant il fut empereur. Yu qui n’avait pas un domaine de dix familles, se vit maître de tout l’empire, et au-dessus et je ne sais combien de princes. Tching tang et Vou vang étaient nés princes ; mais ils n’avaient chacun qu’environ dix lieues de terres. Chacun d’eux en son temps devint empereur, et fondateur d’une illustre dynastie. Quel fut leur secret ? Le voici en peu de mots. Attentifs à ne rien faire dont ils pussent en rougir devant Tien[2] ni qui pût blesser le cœur de leurs peuples, ils suivirent exactement la droite raison qu’ils avaient reçue de Tien, et se regardèrent toujours comme pères de leurs sujets. Les sujets de leur côté prenaient à leur égard des sentiments tout conformes. L’on ne voit point de leur temps, que ceux qui étaient en place, craignissent de se perdre eux-mêmes, en représentant librement et sans détour, ce qu’ils jugeaient être du bien commun. Voilà ce qui a fait réussir ces grands princes, et ce qui a rendu leur mémoire à jamais célèbre.

Je voudrais pouvoir vous ouvrir le fond de mon cœur, et vous y faire voir le zèle qui me fait parler. Je sais le peu que je vaux, et par là j’ai tout lieu de craindre que vous fassiez peu de cas de mes conseils. Je vous prie cependant d’y faire quelque attention ; ou plutôt à l’occasion de mon discours, de réveiller dans votre propre cœur les sentiments qui y sont gravés. Imaginez-vous une montagne également haute et escarpée, au pied de laquelle il y ait un abîme sans fond. Supposons qu’on place un homme chargé d’un énorme poids à l’extrémité de cette roche ; de sorte qu’à demi-suspendu, il ne soit retenu lui et son poids, que par un assez faible filet. Quel homme en cet état, voyant d’un côté que sa chute dépend d’un rien[3], et de l’autre que s’il tombe, il est perdu sans ressource ; quel homme, dis-je, ne frémirait pas ? C’est cependant, souffrez que je vous le dise, c’est

  1. Le chinois dit : n’avait pas autant de terre qu’il en faut pour dresser un stile, ou bien pour planter un piquet.
  2. Le Ciel.
  3. Le Chinois dit, d'un cheveu.