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aussi de vaincre. Il s’est déjà passé quelques actions, où nous avons battu les barbares, quoiqu’ils fussent en plus grand nombre.

La différence de ces succès, mon prince, ne vient pas des peuples de Long si, qui d’eux-mêmes ne sont aujourd’hui ni plus ni moins braves qu’ils étaient : elle vient des généraux et des officiers. Le livre qui a pour titre, l’Art de la Guerre, dit : Il n’est point de peuple, quelque vaillant qu’il soit, qu’on puisse dire invincible : mais il est des généraux, dont on peut dire qu’ils ne sont jamais battus. Rien n’est donc plus important, soit pour la réputation de vos armes, soit pour la sûreté de vos frontières, que le choix des généraux.

Outre ce choix, il y a encore trois choses de la dernière importance, dont le succès des combats dépend, et à quoi un bon général doit faire attention : 1° Au terrain, qu’il faut bien connaître, pour s’y accommoder à propos. 2° Aux hommes, qu’il faut aguerrir par un exercice continuel. 3° Aux armes, dont il y a bien des espèces, et qu’il faut toutes avoir bonnes. Quant au terrain, si le pays est coupé de rochers, de bois, de rivières, ou si, quoiqu’assez uni, il est couvert de broussailles et de hautes herbes, il faut faire agir l’infanterie : un homme à pied vaut alors mieux que deux à cheval ou sur des chariots. Au contraire s’il se rencontre ou bien une rase campagne, ou une file de hauteurs, sans bois et sans roches, c’est où la cavalerie doit agir : alors un seul homme à cheval ou sur des chariots, vaut dix fantassins. S’il y a des hauteurs fréquentes, que des vallées de peu d’étendue, et quantité de ruisseaux séparent, les meilleures armes sont des arcs : les armes courtes en ces occasions sont peu d’usage et leur désavantage est si grand que cent hommes ainsi armés, valent à peine un bon archer. S’il se rencontre des taillis ou bois épais, il faut recourir aux haches d’armes : une vaut mieux que deux hallebardes. Dans les défilés et les chemins tortus, l’épée et l’esponton sont d’usage : un homme ainsi armé vaut dix archers.

Quant aux hommes, il faut que les officiers subalternes soient bien choisis, et les soldats bien exercés. N’entendre rien au campement ni aux marches, se débander facilement, ne savoir pas profiter promptement d’une occasion de gagner quelque avantage ; n’avoir ni attention à prévoir les dangers ordinaires, ni habileté à se tirer de ceux qu’on n’a pas prévus ; enfin n’être nullement stylé aux signaux[1] du tambour et de la timbale, voilà les défauts ordinaires des soldats mal aguerris. Cent hommes alors n’en valent pas dix.

Quant aux armes il y en a d’offensives : il les faut entières, nettes, bien tranchantes. Il y en a de défensives : il les faut fortes et serrées. Il vaudrait autant s’exposer nu jusqu’à la ceinture, que de porter une méchante cuirasse : un arc qui n’a point de force ne vaut pas une arme courte. Que sert une flèche, qui ne peut aller droit ? Autant vaudrait-il n’en point avoir. Que sert qu’elle aille droit à l’ennemi, si elle ne le peut percer ?

  1. Une glose dit : les signaux pour agir, se donnent avec les tambours; les signaux pour cesser, avec la timbale.