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comment se fait-il que lorsque vous demeurez dans le même endroit, au lieu de maintenir la paix et le bon ordre, vous y excitez des querelles, vous y semez la division.

Ne parlez jamais mal des autres, on vous laissera en repos : ne vous brouillez avec personne ; cédez volontiers aux autres ; ayez une patience à l’épreuve des contradictions, et vous n’aurez point à craindre qu’on vous outrage, ou qu’on vous insulte.

Quand il s’élève un différend entre deux personnes, si des gens charitables s’approchaient pour les mettre d’accord ; quand le feu de la division s’allume dans une famille, si les voisins accouraient pour l’éteindre ; si lorsqu’un homme s’échauffe, quelqu’un le tirait à l’écart, et lui parlant avec douceur, tâchait de modérer sa colère, ce grand feu qui semblait menacer le Ciel, s’évanouirait dans le moment, et cette affaire importante qu’on voulait porter au tribunal des Grands, se terminerait avec autant de facilité, qu’on fond un morceau de glace, ou qu’on détache une tuile du toit. Mais si un boute-feu s’en mêle, semblable à une grosse pierre, qui tombant avec roideur brise tout ce qu’elle rencontre, il vous engagera par ses pernicieux conseils dans des chicanes qui vous conduiront au précipice.

Mais puisque je parle des suites funestes où engagent les querelles et les procès, écoutez attentivement ce que j’ai encore à vous dire.

Dès que le mandarin a pris connaissance de l’affaire, il faut que l’un ou l’autre succombe, ou vous, ou votre partie adverse : si vous avez du dessous, comme vous n’êtes pas d’humeur à céder, vous chercherez partout de l’appui et de la protection ; vous tâcherez de gagner les bonnes grâces de ceux qui ont la confiance du mandarin, et il faudra bien payer leurs démarches : vous voudrez mettre dans votre parti, et vous rendre favorables les gens de l’audience ; et combien de festins faudra-t-il leur donner ? Aurez-vous de quoi fournir à tous ces frais ?

Mais si vous tombez entre les mains d’un mauvais juge, qui pour vous perdre, emprunte les couleurs et les apparences de la droiture et de l’équité, en vain avez-vous intéressé ceux qui ont de l’accès auprès de lui, et pour qui il a de la considération ; en vain les gens de l’audience, ces âmes vénales, ces sangsues du peuple, se déclareront-ils en votre faveur : après bien des dépenses que vous aurez faites, vous pour opprimer votre ennemi, et votre ennemi pour se dérober à votre fureur, vous serez forcés d’en venir enfin tous les deux à un accommodement.

Si vous refusez d’y entrer, si ayant été condamné dans un tribunal subalterne, vous en appelez à une cour supérieure, on verra tous les jours des requêtes courir tous les tribunaux, le procès traînera en longueur bien des années par les artifices de la chicane, les témoins en souffriront, une infinité de personnes seront enveloppées dans votre affaire, les uns seront mis en prison, les autres seront punis par la justice,