Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/573

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les grands sentiments, que leur inspire le rang qu’ils tiennent. Il est pernicieux au prince, à l’égard duquel il diminue naturellement le zèle de ceux dont dépend principalement sa gloire et sa sûreté. C’est pour cela que les rits ont recommandé au prince, de traiter toujours civilement ses ministres et autres grands officiers. Sans cela, les peuples oublient ce qu’ils doivent aux Grands et le prince peut s’en ressentir : sans cela ils s’oublient eux-mêmes ; et se voyant comme dégradés, ils se dégradent, pour ainsi dire, intérieurement. Ils n’agissent plus par des sentiments d’honneur : ils servent par manière d’acquit : ils profitent des occasions de prendre, de vendre, de s’enrichir, et négligent le bien commun. Si le prince a du dessous en quelque occasion, ils s’en embarrassent peu ; peut-être même qu’ils s’en réjouissent, et qu’ils aident secrètement le parti qui lui est contraire : et s’ils voient le prince et l’État en danger, le premier soin est de pourvoir chacun à la propre sûreté.

Yu yang était grand officier auprès de Tchong hin. Quand Tchi pé eut défait et tué Tchong hin, il offrit de l’emploi à Yu yang : celui-ci le prit. Tchao peu après défit Tchi pé et le fit mourir. Yu yang en parut inconsolable. Il fit tout l’imaginable pour rétablir le fils de Tchi pé sur le trône de son père : il fit pour cela, dit l’histoire, jusqu’à cinq tentatives ; mais aucune ne put réussir. Quelqu’un demanda à Yu yang la raison d’une conduite si différente à l’égard des deux princes qu’il avait servis. Tchong hin, répliqua Yu yang, tout grand officier que j’étais, en usait à peu près avec moi comme avec le commun de ses sujets : j’eus aussi de mon côté le commun de ses sujets quand il fut mort. Pour Tchi pé, il a toujours eu pour moi les égards convenables au rang que je tenais dans son royaume : je lui dois un attachement qui y réponde.

En effet, le moyen qu’un officier pour qui le prince a toutes sortes d’égards, ne le serve pas avec le plus grand zèle, ce serait cesser d’être homme. Quand les choses sont sur ce pied-là, s’agit-il de l’intérêt de l’État, l’officier oublie ceux de sa famille. Se présente-t-il une occasion de faire un gros gain, ou une perte considérable ? Il négligera tout avantage, et s’exposera plutôt à tout perdre, que de s’éloigner de son devoir. Enfin, faut-il servir le prince ? Il se sacrifie sans réserve. Mais quand un prince a pour tous les Grands les égards que les rits lui recommandent, ces dangers deviennent rares. Dès lors, plus de divisions entre les princes du sang : après avoir vécu bien unis, ils ont la consolation de mourir tranquilles, et d’être inhumés près de leurs ancêtres. Plus de révoltes ni de guerres entre les princes feudataires ; chacun d’eux vit et meurt en paix chez soi. Les bons ministres ne cherchent point de prétextes pour se retirer : ils se font un devoir et un plaisir de servir jusqu’à la mort. Les officiers de guerre en font autant : ils meurent volontiers sur une brèche, ou sur les frontières. C’est ce qu’on veut exprimer, quand on dit d’un prince sage et accompli, qu’il est en sûreté dans des remparts d’or : comparaison qui fait sentir ce que sont à son égard tous les Grands de son empire. Telles étaient en effet les heureuses suites des égards que nos anciens princes avaient pour les Grands. Mais hélas !