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Instruction d'un mandarin sur la troisième ordonnance.

L’empereur vous ordonne de conserver l’union dans les villages, afin d’en bannir les querelles et les procès : écoutez attentivement l’explication que je vais faire de cette ordonnance.

Lorsque vous demeurez dans un même lieu, parents ou non, peu importe, vous passez pour habitants de ce lieu ou de cette bourgade. Vous y vivez avec des parents ou des alliés et avec des personnes avancées en âge, et avec vos condisciples : Vous ne sauriez sortir sans vous voir : le matin et le soir, en tout temps vous vous rencontrez les uns les autres. Or cet assemblage de quelques familles réunies dans un même lieu, c’est ce que j’appelle un village : Dans ce village il y a des riches et des pauvres : il y en a qui sont au-dessus de vous, il y en a qui sont au-dessous, enfin vous y avez des égaux.

Ayez d’abord pour maxime, que votre crédit ne doit point être employé à vous faire redouter, qu’il ne vous est jamais permis d’user de ruses, et de dresser des pièges à vos voisins. Parler du prochain avec mépris, étaler avec pompe vos belles qualités, chercher à vous enrichir au dépens des autres, ce sont de ces choses que vous devez absolument vous interdire.

Un ancien a sagement remarqué que dans un lieu où il y a des vieillards et des jeunes gens, ceux-ci doivent respecter les premiers, et que sans examiner s’ils sont riches ou pauvres, savants ou ignorants, ils ne doivent avoir égard qu’au nombre des années.

Si étant à votre aise vous méprisez les pauvres, si étant dans l’indigence vous regardez les riches avec des yeux d’envie, les divisions seront éternelles. Quoi, dira ce riche orgueilleux, vous ne voulez pas me céder, et moi je vais vous écraser.

En effet si vous avez des terres ou des maisons, il tâchera de vous les enlever, il emploiera la force pour empiéter sur votre fond ; ni vos femmes ni vos filles ne pourront être à l’abri d’un pareil créancier ; comme vous êtes insolvable, il vous les ravira sous le titre spécieux d’une équitable compensation ; tantôt dans un mouvement de colère, il lâchera ses bœufs et ses chevaux dans vos campagnes, qui dévoreront vos terres nouvellement ensemencées : Tantôt dans la chaleur du vin il se livrera aux plus grands excès : les gens de bien ne seront point à couvert de ses insultes : les voisins poussés à bout, éclateront, ils s’adresseront aux gens de chicane, pour intenter un procès dans les formes ; ces esprits malins et artificieux ne manqueront pas de grossir les objets afin de les engager dans une affaire d’éclat : d’un étang ils feront une mer irritée, dont les flots écumants s’élèveront jusqu’aux nues : une bagatelle deviendra une affaire sérieuse. Cependant l’accusation sera portée dans tous les tribunaux, et les dépenses qu’on sera obligé de faire auront des suites dont on se ressentira le reste de ses jours.

Êtes-vous en voyage ? Si le hasard vous fait rencontrer un homme de votre village, à peine l’avez-vous reconnu à son langage, que rien n’est comparable au plaisir secret que vous ressentez : vous logez ensemble, vous vous aimez comme si vous étiez véritablement frères : et