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sur ces désordres, qu’ils jugent que les choses doivent être ainsi, ou que ce n’est pas à eux d’y mettre ordre. Mais sur qui donc s’en reposer ? Sur les magistrats ordinaires et leurs subalternes ? Hélas ! assez occupés de leurs écritures et de leurs registres, ils ne portent guère leurs vues plus loin : et quand ils auraient assez de lumières et de vertu, pour apercevoir ces maux et pour en être touchés, réformer tant d’abus, remédier à tant de désordres, inspirer de nouveau à tout l’empire l’amour du devoir et de la vertu, c’est certainement une entreprise beaucoup au-dessus de leur portée.

Il ne reste donc plus que Votre Majesté qui doit prendre le soin de remédier à tous ces maux. Or je ne vois pas qu’elle les sente, ou qu’elle s’en alarme ; c’est de quoi je la plains le plus. Car enfin maintenir l’autorité souveraine, bien distinguer les conditions, mettre l’ordre dans les familles ; ce sont des choses dont Tien[1] a chargé les empereurs, et qu’il ne fait pas par lui-même. C’est surtout dans ces sortes de matières, qu’il est très vrai de dire que n’avancer pas, c’est reculer, et que ne mettre pas les choses sur un bon pied, c’est absolument les laisser tomber. Koan tze[2] dit : l’exactitude à garder les rits, la droiture, le désintéressement, la pudeur, quatre grands arcs-boutants du gouvernement, s’ils tombent, leur chute est suivie de la ruine de l’État.

Koan tze, pourrait dire quelqu’un, est un assez pauvre auteur ; soit, je veux bien le supposer. Il est d’autant plus honteux d’être moins éclairé que lui. Rien de plus vrai que ce que j’en cite. Tsin laissa tomber ces quatre arcs-boutants ; et incontinent après il tomba lui-même. Au bout de treize ans, sa superbe cour fut une colline déserte. Pouvons-nous dire qu’aujourd’hui ces quatre arcs-boutants soient en bon état ? Non, ce serait trop nous flatter. Aussi voit-on déjà s’applaudir et se licencier ceux qui enfantent de pernicieux desseins. Déjà naissent de tous côtés les soupçons et les défiances. Pourquoi donc ne pas travailler au plus tôt à régler ce qui doit l’être ; à bien établir la distinction nécessaire entre l’autorité souveraine et les puissances subordonnées ; la différence dans les conditions, le bon ordre dans les familles ? Par là ceux qui avaient formé de nuisibles projets, perdront l’espérance de nuire ; par là cesseront les soupçons et les défiances ; par là vous donnez à votre postérité une règle facile à suivre ; par là vous assurez pour bien du temps la paix et le bonheur de tout l’empire. Négliger des choses de cette importance, c’est s’exposer sur une barque à passer un fleuve large et rapide, sans avoir ni corde ni rame. Le courant l’entraîne ; et pour peu que le vent souffle et fasse élever les flots, elle est perdue. N’est-ce pas où nous en sommes ? Et n’est-ce pas encore une chose propre à faire pousser de grands soupirs ?

Les trois premières dynasties comptent chacune plusieurs générations. Celle de Tsin qui leur a succédé n’en compte que deux fort courtes. Certainement à ne regarder que les qualités et les inclinations naturelles, il n’y

  1. Le Ciel.
  2. Ancien ministre du royaume de Tsi.