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à son enfant, discuter insolemment contre son mari ; les brus et les belles-mères sans union, se regarder de travers à chaque moment, et s’espionner mutuellement. Il restait encore dans les hommes de la bonté pour leurs enfants, et du goût pour les richesses : mais ne différer que par là des bêtes, c’est s’en distinguer par bien peu de chose.

Malgré cela, Chi hoang suivant son projet, et profitant des conjonctures favorables, envahit six royaumes, et se fit empereur. Il ne s’agissait plus que de prendre les moyens de maintenir sa famille sur le trône. Ce moyen était la tempérance, la modestie, la bonté, la droiture, la bonne foi, le maintien des lois établies. Chi hoang ne sut pas les prendre : il suivit aveuglément la route que lui avait frayée Chang yang : il ne pensa qu’à prendre et à dépenser. Son exemple fut imité dans tout l’empire : chacun y prit pour unique loi sa passion et son pouvoir. Les gens d’esprit mirent leur sagesse à tromper les simples. On fit consister la bravoure à profiter de la faiblesse et de la timidité d’autrui. C’était assez qu’on fût plus robuste qu’un autre, pour qu’on se crût en droit de lui faire insulte. Enfin le désordre fut extrême, et devint insupportable.

Ce fut dans ces conjonctures que parut un homme d’un mérite[1] supérieur. Tout céda à sa valeur, tout se rendit à sa vertu : et comme on disait auparavant la dynastie Tsin, on dit depuis la dynastie Han. Mais quoique les Tsin soient passés, les vices de leur temps durent encore : le luxe est presque toujours le même : les rits tombent de plus en plus ; avec eux la pudeur et la vertu s’évanouissent. Ce changement de mal en pis, devient chaque mois plus sensible, et bien plus encore, chaque année. Tuer son père ou son frère, ce sont des crimes, qui quoiqu’énormes, ne sont pas sans exemple de nos jours. Pour ce qui est des vols et des brigandages, ils vont si loin, qu’on a bien osé forcer les appartements les plus intérieurs du palais de votre père et de votre frère, pour en enlever les meubles[2]. Enfin la licence est devenue si grande, que dans cette capitale on a vu de vos officiers être volés et égorgés en plein jour.

Pendant que d’un côté l’on commet ces violences, on voit de l’autre un riche fripon, contrefaisant l’honnête homme, fournir aux greniers publics quelques cent mille charges de grains, ou donner en argent de grosses sommes, et se procurer à ce prix les plus grands emplois : désordre plus grand encore que tous les autres dont j’ai parlé : désordre cependant devenu commun, quoiqu’on ait soin de vous le cacher. Pendant qu’on vous exagère certaines fautes particulières, on voit le siècle se corrompre, les plus grands vices régner, les plus grands abus s’établir. On le voit sans émotion et d’un air tranquille. On dirait, à voir l’insensibilité de vos grands officiers sur

  1. Il indique Lieou pang, surnommé Kao ti, ou Kao tsou, fondateur de la dynastie Han, père de Ven ti, à qui il parle.
  2. Une glose dit : Ven ti était un bon prince. La postérité l’a fort loué. Kia y savait bien lui-même que tout n’allait pas si mal ; mais il voulait que tout allât mieux, et il exagère exprès, pour frapper et toucher son prince.