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ses États, et se moque de vos lois ; j’ai sur cela des avis certains. Jugez de ce que peut oser un prince qui en use de la sorte, n’ayant encore éprouvé que vos bontés.

Telle est la situation où vous êtes ; situation peu différente de celle où étaient les empereurs dans ces tristes temps, dont le Tchun tsiou[1] fait l’histoire. Il est vrai qu’il n’y a pas actuellement de troubles considérables. Voici pourquoi : la plupart des vang sont encore jeunes : ce sont encore leurs gouverneurs ou leurs ministres, qui ont le maniement des affaires. Ces gouverneurs et ces ministres sont gens mis de votre main, ou du moins sincèrement attachés à votre maison. Mais encore quelques années, voilà tous ces vang devenus grands. Ils se sentiront du feu de l’âge ; ils cesseront d’être dociles. Leurs anciens officiers prétexteront ou des maladies, ou d’autres raisons pour se retirer. Alors ces jeunes princes comme émancipés, ou feront tout à leur tête, ou donneront leur confiance à gens qui auront des intérêts particuliers. Ce changement fait, (or il n’est pas loin) si votre frère ou votre neveu le déclarent, et s’écartent ouvertement de leur devoir, quel moyen alors d’y remédier ? Pour moi je n’en vois point ; et je crois que Yao et Chun[2] y seraient eux-mêmes embarrassés. Qui veut bien faire sécher, n’attend pas au soir, mais profite du grand soleil. Que fait ce couteau en votre main, si vous ne voulez pas vous en servir ? On attribue à Hoang ti[3] ces deux proverbes ; l’application en est assez claire. Profitez, prince, profitez du temps et du pouvoir que vous avez. Tout vous est facile : mais pour peu que vous différiez, il sera trop tard. Le moins qu’il en puisse arriver, c’est que ce délai nous mette dans la fâcheuse nécessité de répandre un sang qui a la même source que le vôtre. Qui peut répondre des autres suites ? N’est-ce pas ramener le temps des Tsin ? Hâtez-vous, prince, faites un coup de maître : vous avez l’autorité : vous êtes empereur : le temps vous est favorable, mais il presse. Soutenu du secours de Tien[4], ne craignez que ce qui est véritablement à craindre. Procurez le repos et la sûreté de l’empire en prévenant le danger, et dissipez l’orage qui le menace.

Pour vous mieux faire sentir l’importance de ce conseil, rappelons quelques traits d’histoire, et faisons quelques suppositions. Vous vous souvenez sans doute de ce que l’histoire nous apprend d’un des Vang de Tsi, nommé Hoen. Il s’était rendu si puissant, qu’il ne s’en fallut presque rien que les reste des Tchu heou ne vinssent à s’unir pour lui rendre hommage. Ils le respectaient beaucoup plus que l’empereur. Si, vous étant alors empereur, l’aviez lassé tranquillement en venir à ce degré de puissance, qu’eussiez-vous fait ensuite ? Eussiez-vous enfin osé entreprendre de le réduire ? Je n’en sais rien. Mais je crois savoir et pouvoir dire, que vous l’eussiez inutilement tenté.

  1. C'est le nom d'un livre attribué à Confucius.
  2. Deux princes fameux par leur sagesse.
  3. Nom d'un ancien empereur.
  4. Du Ciel.