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d’imiter les empereurs Yao et Chun. Si quelqu’un avançait ce paradoxe, je ne veux que cet exemple pour confondre.

Sou quang, qui avait été précepteur du prince héritier, présenta une requête à l’empereur Siuen ti, où après avoir exposé qu’il était d’un âge fort avancé, il lui demandait la permission de se retirer dans sa maison : l’empereur le lui accorda, et lui fit présent d’une grosse somme d’argent : le prince héritier lui fit aussi un présent considérable. Ce bon vieillard se trouvant dans sa patrie, ordonna que sa table fût toujours bien servie, afin de pouvoir régaler ses proches et ses anciens amis. Il demandait de temps en temps à son intendant, combien il lui restait encore d’argent, et il lui ordonnait d’acheter ce qu’il trouverait de meilleur.

Cette dépense alarma ses enfants : ils allèrent trouver les amis de son père,  pour les engager à lui faire sur cela des représentations. Nous espérions, leur dirent-ils, que notre père comblé d’honneurs et de biens ne penserait qu’à établir solidement sa famille, et à nous laisser un riche héritage. Cependant vous voyez quelle dépense il fait en festins et en réjouissances : n’emploierait-il pas bien mieux son argent à acheter des terres et des maisons ? Ces amis promirent de parler au vieillard : et en effet ayant trouvé un moment favorable, ils lui insinuèrent le sujet de plainte qu’il donnait à ses enfants.

J’admire mes enfants, leur répondit-il ; ils pensent, je crois, que je radote, et que j’ai perdu le souvenir de ce que je dois à ma postérité. Qu’ils sachent que je leur laisserai en terres et en maisons ce qui suffit et au-delà pour leur entretien, s’ils savent les faire valoir ; mais qu’ils ne se persuadent pas qu’en augmentant leurs biens, je contribue à fomenter leur paresse. J’ai toujours entendu dire que de donner de grandes richesses à un homme sage, c’est énerver et affaiblir sa vertu ; et que d’en donner à un insensé, c’est augmenter ses vices. En un mot cet argent que je dépense, l’empereur me l’a donné pour soulager et récréer ma vieillesse ; n’est-il pas juste que j’en profite, selon ses intentions ; et que pour passer plus gaiement le peu de temps qui me reste à vivre, je m’en divertisse avec mes parents et mes amis ?

Tang teou avait deux filles fort jeunes, l’une de 19 ans et l’autre de 16, toutes deux d’une rare beauté et d’une vertu encore plus grande, quoi qu’elles n’eussent eu d’autre éducation que celle qu’on donne communément à la campagne. Dans le temps qu’une troupe de brigands infestait l’empire, ils firent une irruption soudaine dans le village de ces jeunes filles : elles se cachèrent dans des trous de montagnes, pour se dérober à leurs insultes et à leurs cruautés. Les brigands les eurent bientôt déterrées, et les emmenèrent avec eux comme des victimes destinées à assouvir leur brutale passion. Après avoir marché quelque temps, ils se trouvèrent sur les bords d’un précipice : alors l’aînée de ces deux filles s’adressant à la sœur : Il vaut beaucoup mieux, dit-elle, perdre la vie que la pudicité, et à l’instant elle se jeta dans l’abîme : la cadette imita aussitôt son exemple ; mais elle ne mourut pas de cette chute comme sa sœur : elle en fut quitte pour avoir les jambes cassées. Les brigands effrayés à ce spectacle continuèrent leur route, sans examiner ce qu’elles étaient devenues. Le gouverneur de la ville