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un large fossé : si elle n’y trouve point d’issue, elle y demeure sans mouvement ; si elle en trouve, ou du côté de l’orient, ou du côté de l’occident, c’est là que se porte son cours. De même la nature de l’homme ne me paraît ni bonne ni mauvaise : elle est dans un état d’indifférence, et ce sont les bonnes ou les mauvaises mœurs qui la déterminent au bien ou au mal.

Je le veux, répondit Mencius, que l’eau soit également disposée à couler, soit vers l’orient, soit vers l’occident : mais l’est-elle de même, pour s’élever en l’air, ou pour tendre en bas ? Sa gravité naturelle ne l’entraîne-t-elle pas vers les lieux bas ? La nature humaine a un égal penchant pour la vertu. Mais comme on voit que l’eau ne suit plus sa pente naturelle, lorsqu’une digue s’oppose à son cours, et la fait remonter vers sa source ; de même les passions qui s’élèvent dans le cœur de l’homme, et qui l’agitent sans cesse, lorsqu’il ne sait pas les gouverner, arrêtent tout à fait ce penchant de sa nature qui le porte vers le bien.

Il réfute ensuite l’opinion de son disciple, qui faisait consister la nature de l’homme dans la vie, et dans la faculté qu’il a de connaître, de sentir, et de se mouvoir. Si cela était, dit-il, en quoi la nature de l’homme différerait-elle de la nature de la bête ? Puis il montre que c’est dans la raison qu’elle consiste ; que la raison est le principe de la piété et de l’équité, et que ces deux vertus sont comme deux propriétés inséparables de la nature humaine. Il le prouve par le respect qu’on doit aux personnes âgées : c’est là un genre d’équité, qui ne consiste point dans le grand âge, qui a droit d’être respecté : car ce droit est extrinsèque à la personne qui rend le respect ; mais qui consiste dans la connaissance qu’il a de ce droit, et dans l’affection du cœur : l’une et l’autre sont intrinsèques à la nature humaine.

J’avoue, poursuit-il, qu’il n’est pas aisé de connaître la nature de l’homme en elle-même ; mais pour juger qu’elle est bonne et droite, il ne faut qu’examiner le penchant et l’inclination qui y réside. Tout homme a naturellement de la compassion pour les malheureux, de la pudeur qui l’éloigne des actions honteuses, du respect pour ceux qui sont au-dessus de lui ; du discernement pour distinguer la vérité de la fausseté, l’honnêteté de l’infamie. Ce sentiment de compassion s’appelle piété ; ce sentiment de pudeur s’appelle équité ; ce sentiment de respect se nomme honnêteté ; enfin ce discernement naturel est ce que nous appelons prudence. D’où viennent ces quatre sentiments à l’homme ? Ce n’est pas des causes extérieures. Ils sont donc infiniment unis à sa nature. Mais le malheur est que la plupart des hommes négligent cette droiture naturelle qu’ils ont reçue du Tien et n’y font pas même attention : c’est pourquoi ils la perdent insensiblement, et se plongent ensuite dans toutes sortes de vices.

Ceux au contraire qui la cultivent, la perfectionnent de jour en jour, et se rendent célèbres par leur vertu et leur sagesse. Vous semez le même blé dans une même terre et dans la même saison : cependant au temps de la moisson, la récolte se trouve différente : c’est pourtant la même nature de blé ; mais c’est que la culture n’a pas été égale de la part du