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appelé dans ses États, pourvût à ma subsistance. Mais pour ce qui est du roi de Tsi, comme il n’avait aucune raison de me donner, je n’en avais point de recevoir ; et si j’eusse accepté ses offres, c’eût été en moi une cupidité honteuse, et indigne d’un homme, qui a passé sa vie dans l’étude de la sagesse.

Mencius étant allé dans la ville de Ping lo, qui était du royaume de Tsi, trouva le pays désolé par une stérilité générale : de ce grand nombre d’habitants, les uns périssaient par la faim, les autres abandonnaient une terre ingrate, pour aller chercher des aliments dans les royaumes les plus éloignés. Mencius, adressant la parole à Kiou sin, gouverneur de la ville : Si quelqu’un de vos soldats, lorsqu’ils sont sous les armes, lui dit-il, quittait son rang jusqu’à trois fois de suite, ne le puniriez-vous pas ? Je n’attendrais pas, répondit le gouverneur, qu’il fît trois fois la même faute ; dès la première fois il serait châtié. Vous auriez raison, répliqua Mencius ; mais vous vous condamnez vous-même, en négligeant ce qu’il y a de plus important dans votre charge. Pendant ces tristes années de stérilité, les peuples périssent de faim et de misère : j’en vois un grand nombre, qui courbés sous le poids des années, tombent de langueur dans les fossés, et y finissent leur malheureuse vie ; j’en vois d’autres, et en plus grand nombre, qui étant plus jeunes et ayant plus de vigueur, errent de côté et d’autre dans tout l’empire, pour y chercher de quoi vivre. Hélas, répondit Kiou sin, je gémis de tant de calamités, et je voudrais pouvoir bien y apporter quelque remède ; mais je ne suis pas le maître de faire ouvrir les greniers, et d’exempter le peuple des tributs. Mais, reprit Mencius, si un homme riche vous avait confié le soin de ses troupeaux, et qu’il ne voulut point vous assigner les pâturages convenables à leur nourriture, que feriez-vous ? Vous êtes le pasteur de ce grand peuple ; c’est au roi que vous devez vous adresser pour soulager sa misère, et subvenir à ses besoins : si le roi ne vous écoute pas, verrez-vous tranquillement ce peuple mourir de faim, et ne devez-vous pas plutôt renoncer à votre gouvernement ?

Mencius voyant que les sages conseils qu’il donnait au roi de Tsi et à ses ministres, n’étaient d’aucune utilité, prit le parti de se retirer dans sa patrie. Un de ses disciples nommé Yu qui l’accompagnait dans le voyage, apercevant un certain nuage de tristesse et de mélancolie qui lui couvrait le visage, lui parla ainsi : Je vous ai souvent entendu dire que le sage ne se fâche point, si le Ciel cesse de favoriser ses entreprises, et qu’il ne se plaint point lorsque les hommes refusent de se conformer à ses maximes. Cependant je vous vois un air triste : cette mélancolie qui ne vous est pas naturelle, est sans doute la marque de quelque secret mécontentement ?

— Non, répondit Mencius, je ne me plains ni du Ciel, ni des hommes : ce sont les différentes conjonctures, qui me y rendent ou gai, ou triste. Quand je menais une vie privée, et que dans ma solitude, je m’occupais uniquement de l’étude de la sagesse, c’était le temps de la joie. Maintenant que j’enseigne ma doctrine aux rois et aux peuples, et que j’ai en vue le bien public, c’est le temps de la tristesse.