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fournissaient des greniers publics. La seconde se faisait en automne, et dans le temps de la récolte ; et si elle n’était pas assez abondante, pour fournir à la subsistance de tout le peuple, ils y suppléaient en ouvrant les greniers publics.

On tient maintenant une conduite bien différente. A la vérité les princes font la visite de leurs royaumes ; mais comment la font-ils ? Ils marchent escortés de près de trois mille soldats, qui consomment la plus grande partie des provisions nécessaires à la subsistance du pauvre peuple. On voit ce peuple sans force et languissant de faim. Faut-il s’étonner s’il a la rage dans le cœur, et si dans l’oppression où il est, il cherche à s’en consoler par ses murmures, et par les invectives perpétuelles dont il déchire la réputation de son prince ? Je vous remets devant les yeux la conduite des anciens rois, et celles que tiennent les princes d’aujourd’hui : c’est à vous de voir auxquels vous aimez mieux ressembler.

Ensuite il lui propose l’empereur Ven vang pour modèle. Ce prince n’imposait, pour tribut aux laboureurs, que la neuvième partie de leur récolte ; il assignait des pensions aux fils et aux petits-fils des mandarins décédés ; on ne connaissait point de douanes dans ses États : les marchandises y entraient, et en sortaient sans être taxées ; la pêche n’était interdite à personne dans les lacs et les rivières publiques ; s’il fallait punir un criminel, comme le crime est personnel, le châtiment l’était aussi, et on ne l’étendait pas comme à présent, jusqu’à sa femme et à ses enfants. Enfin ce prince, qui signalait chaque instant de son règne par la bonté et la clémence, en faisait ressentir les effets principalement à quatre sortes de personnes ; aux vieillards qui n’avaient plus de femmes ; aux femmes veuves qui avaient perdu leurs maris ; aux vieillards qui se trouvaient sans enfants, et aux jeunes orphelins qui avaient perdu leur père. Ces quatre espèces de malheureux lui paraissaient les plus dignes de compassion, parce qu’étant destitués de tout secours humain, ils n’avaient de ressource que dans la bonté du prince, qui, quoiqu’il soit le père de tous ses sujets, l’est encore plus particulièrement de ceux qui sont le plus abandonnés.

Que diriez-vous, prince, continua Mencius, si celui qui est à la tête du tribunal suprême de la justice, ne veillait pas sur la conduite de ses subalternes ; s’il ne s’informait pas de la manière dont les magistrats administrent la justice ; s’il permettait qu’on châtiât des innocents, et qu’on renvoyât des criminels absous ? Je le déposerais, répondit le prince. Mais, poursuivit le philosophe, si un roi néglige le soin de son royaume ; s’il ne songe point à instruire ses peuples ; s’il n’a pas compassion de leur misère ; s’il ne protège point les malheureux, et ceux qui sont sans appui ; qu’en pensez-vous ? À ces mots le prince rougit, et parut embarrassé : il jeta les yeux de côté et d’autre comme s’il eût été distrait ; et sans répondre à Mencius, il le congédia.

Dans un autre entretien, Mencius enseigne au prince à bien choisir ses ministres ; il l’exhorte à ne pas s’en rapporter au témoignage des particuliers, qui peuvent le surprendre, ni même à la voix publique du peuple,