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rien de honteux ; ne dites pas : personne ne me voit[1] : car il y a un esprit intelligent qui voit tout : il vient lorsqu’on y pense le moins, et c’est ce qui doit nous tenir dans une attention continuelle sur nous-mêmes.

Votre vertu ne doit pas être commune, il faut arriver à la plus haute perfection. Réglez si bien tous vos mouvements, que vous ne vous détourniez jamais du chemin le plus droit : ne passez point les bornes que la vertu vous prescrit, et fuyez tout ce qui pourrait la blesser. Proposez-vous à tout le monde comme un modèle, qu’il puisse imiter sans crainte. On rend, dit le proverbe, une poire pour une pêche. Vous ne recueillerez que ce que vous aurez semé. Vous dire le contraire, c’est vous tromper : c’est, comme on dit, chercher des cornes au front d’un agneau naissant.

Une branche d’arbre, qui est simple et pliante, prend toutes les formes qu’on lui donne ; un homme sage possède l’humilité, fondement solide de toutes les vertus. Parlez-lui des belles maximes de l’antiquité, il s’y soumet incontinent, et tâche de les mettre en pratique. Au contraire l’insensé s’imagine qu’on le trompe, et ne veut rien croire. Chacun suit ainsi son penchant.

O mon fils, vous ignorez, dites-vous, le bien et le mal : ce n’est pas en vous tirant par force, que je veux vous conduire à la vraie vertu ; mais c’est en vous donnant des preuves sensibles de tout ce que je vous dis ; ce n’est pas en écoutant simplement mes leçons, que vous deviendrez sage ; c’est en les pratiquant de tout votre cœur. Reconnaître, comme vous faites, votre incapacité, c’est une excellente disposition pour être bientôt en état d’instruire les autres ; car du moment qu’on n’est plus rempli de soi-même, ni enflé d’un vain orgueil, ce qu’on apprend le matin, on le met en exécution avant la fin du jour.

Le Tien[2] suprême distingue clairement le bien et le mal : il hait les superbes, et chérit les humbles ; il n’y a pas un seul instant où je ne puisse offenser le Tien : le moyen donc d’avoir un moment de joie dans cette misérable vie ? Elle passe comme un songe, et la mort vient avant qu’on soit désenchanté. Voilà ce qui fait ma douleur. Je n’oublie rien pour vous instruire, et vous m’écoutez à peine. Bien loin d’aimer mes leçons, elles vous paraissent peut-être trop rudes. Vous dites que vous n’êtes pas dans la saison d’être si sage : mais si vous n’embrassez maintenant la vertu, comment y arriverez-vous dans une caduque vieillesse ?

O ! mon fils, je ne vous prêche que les grandes maximes des anciens rois. Si vous écoutez mes conseils, vous n’aurez jamais aucun sujet de vous

  1. Voici comme parle Tchu hi : Il faut bien se persuader, dit-il, que le Seigneur des esprits et de toutes les choses invisibles est intimement répandu partout. Il vient sans qu’on s’aperçoive de sa présence, et quelque attention qu’on ait, il faut toujours craindre. Que ne doit-on donc point appréhender, quand on n’y pense seulement pas ! Tout cela veut dire qu’il ne suffit point de régler seulement tout ce qui paraît au-dehors ; mais qu’il faut surtout veiller continuellement sur les moindres mouvements de son intérieur.
  2. Le Ciel.