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De l'encre de la Chine.

L’invention du papier eût été peu utile aux Chinois, si en même temps ils n’eussent inventé une espèce d’encre propre à y tracer leurs caractères. L’encre dont ils se servent, se fait du noir de fumée, qu’ils tirent de diverses matières, et principalement des pins, ou de l’huile qu’ils brûlent. Ils y mêlent des parfums, qui corrigent l’odeur forte et désagréable de l’huile. Ils lient ensemble ces ingrédients, jusqu’à ce qu’ils prennent consistance, et qu’ils forment une pâte, qui se met dans différents petits moules de bois. Ces moules sont fort bien travaillés, et impriment sur la pâte toutes les figures qu’ils veulent : ce sont d’ordinaire des figures d’hommes, de dragons, d’oiseaux, d’arbrisseaux, de fleurs, et d’autres choses semblables : l’un des côtés est presque toujours semé de caractères chinois. On lui donne la forme de bâton, ou de tablettes. L’encre la plus estimée est celle qui se travaille à Hoei tcheou, ville de la province de Kiang nan. La manière de la faire demande bien des façons, et elle a bien des degrés de bonté, suivant lesquels elle est plus ou moins chère. On a essayé de la contrefaire en Europe, sans qu’on ait pu y réussir. Les peintres et ceux qui se plaisent au dessin, savent de quelle utilité elle est pour faire leurs esquisses, parce qu’elle prend toutes les diminutions qu’on veut lui donner. On se sert aussi à la Chine d’encre rouge ; mais ce n’est guère qu’aux titres et aux inscriptions des livres. Au reste tout ce qui a rapport à l’écriture, est si noble et si estimé des Chinois, que les ouvriers occupés à faire de l’encre, ne sont point regardés comme exerçant un art servile et mécanique.

Le même auteur chinois que je viens de citer sur ce que j’ai dit du papier de la Chine, et qui me fournit ce que je vais dire, assure que l’invention de l’encre est d’un temps presque immémorial, mais qu’il a fallu bien des années pour la porter au degré de perfection où elle est maintenant.

D’abord on se servait pour écrire d’un noir de terre ; et en effet la lettre me, qui signifie encre, présente en bas dans la composition le caractère tou, qui veut dire terre, et en haut le caractère he, qui signifie noir. Selon quelques-uns on tirait un suc noir de cette pierre : selon d’autres après l’avoir mouillée, on la frottait sur le marbre, et on en exprimait une liqueur noire. Il y en a qui prétendent qu’on la calcinait au feu, et qu’après l’avoir réduite en une poudre très fine, on en formait l’encre.

Au reste, selon notre auteur, cet usage est si ancien, que le célèbre empereur Vou vang, qui, comme on sait, fleurissait 1120 ans avant l’ère chrétienne, en tirait cette moralité : « Comme la pierre me, dont on se sert pour noircir les lettres gravées, ne peut jamais devenir blanche ; de même un cœur noirci d’impudicités, retiendra toujours sa noirceur. »

Sous les premiers empereurs de la dynastie des Tang, c’est-à-dire, environ vers l’année 620 de l’ère chrétienne, le roi de Corée envoyant son tribut annuel à l’empereur de la Chine, lui offrit des pièces d’encre, qui étaient faites d’un noir de fumée, qu’on avait recueilli de vieux pins brûlés, et où l’on avait incorporé de la colle de corne de cerf pour lui donner de la consistance. Cette encre avait un tel éclat, qu’il semblait qu’on y eût appliqué une couche de vernis.

L’industrie chinoise fut piquée d’émulation : on tâcha d’imiter l’artifice